La Rue


Durée de  lecture : moins de 2 mn 38s

Cela faisait bien longtemps que je n’avais pas marché dans les rues d’Aix.
Une semaine avant Noël, je m’attendais à y voir beaucoup plus de monde. J’imaginais des vagues humaines courant d’un magasin à l’autre, les bras prolongés par des sacs gorgés de papiers cadeaux rehaussés de bolducs. Mais non ! Rares sont les magasins où l’on peut remarquer l’existence d’une queue en caisse.
Je suis immédiatement frappé par le nombre croissant d’hommes assis, ou gisant, à même le sol. Certains font la manche, d’autres ne s’en donne plus la peine.
Toutes les classes d’âge sont représentées, la rue ne fait pas de quartier. On ne choisit plus la rue pour rester en marge de la société. C’est la société qui produit désormais des sans-abris par centaine de milliers.

Un groupe de jeunes, cerné par des chiens, squatte outrageusement le trottoir.
Étendus par terre, la tête appuyée sur un sac à dos fatigué d’avoir trop traîné, ils apostrophent presque gentiment les passants. Je les entends aussi invectiver ceux qui font mine de les croiser sans les avoir remarqués. C’est idiot, mais j’ai honte de mon manque de courage, lorsque je traverse la chaussée afin de les éviter.
Plus loin, un homme, à la propreté douteuse et auquel je serais bien en peine de donner un âge, protège jalousement les quelques biens qu’ils possèdent. Des vêtements de rechange dans un grand sac plastique, une vieille couverture de l’armée, un litre de rouge bien entamé, des gâteaux secs, un morceau de pain, une boîte de pâté ouverte et un couteau en plastique blanc, voilà tout son trésor.
Un peu plus loin encore, sur une place où se sont installés quelques camelots, je découvre une table de camping brinquebalante sur laquelle des petites bougies en fin de vie, et des capsules usagées de bouteilles de soda, sont présentées dans un ordre impeccable. Derrière ce stand improvisé, un homme tente d’accrocher un bout de carton sur lequel on peut lire, en lettres capitales et en guise d’accroche commerciale : « Est-ce mal d’avoir faim ? ».
Je ne discerne aucune agressivité dans son regard. Au contraire, ses yeux scintillent comme la frêle lueur de ses bougies.
En empruntant le passage couvert, qui relie l’avenue de la République aux « Allées provençales », j’évite le pré-carré aménagé en dehors de l’agitation du monde par une femme seule. Elle a manifestement tout tenté pour cacher ses formes. Je ne crois pas que le chien qui lui tient compagnie serait à même de la défendre. En revanche, sa maîtresse semble farouche et prête à sortir ses griffes. Pas de doute, elle ne veut montrer aucune faiblesse.

Je suis oppressé au point d’avoir du mal à respirer. J’ai sans doute trop marché, mais pas seulement.
En fait, je suis terriblement mal à l’aise lorsque je m’assieds dans ma confortable voiture.
Je revois les images que mon cerveau vient d’enregistrer et je pense à ces sans abris. Hors du système, hors des statistiques déjà ahurissantes de ceux qui vivent en France sous le seuil de pauvreté, ils existent pourtant bel et bien…

… La nuit est difficile au point de me réserver une insomnie carabinée. Alors que je zappe distraitement, je finis par tomber sur la rediffusion d’un reportage de Mireille Darc pour le magazine  « Infrarouges » : « Les femmes seules sans abri ». Décidément, le sujet me poursuit.
Plusieurs femmes se livrent avec dignité. Je suis plongé dans une réalité filmée en toute objectivité, sans concession et sans pathos.
Les détonateurs qui les ont précipitées dans la rue ? L’alcool ou la drogue évidemment, mais aussi ce que l’on nomme pudiquement les accidents de la vie : un divorce, des dettes, la perte d’un emploi, la maladie, … Les parcours sont si banals qu’ils pourraient être le lot de tous.
Les astuces pour survivre, les prédateurs aux aguets, le désespoir au quotidien, elles ne cachent rien de leur galère au quotidien. Je savais à quoi m’attendre, j’ai découvert le pire.
Lors de ces témoignages, certaines phrases m’ont terriblement marqué : « Ne pas manger, ce n’est pas grave, mais pouvoir rester propre, quitte à se laver avec l’eau d’une cuvette de toilettes publiques, c’est essentiel si l’on veut pouvoir faire bonne figure lors d’un entretien d’embauche » … « Quel bonheur de tenir un trousseau de clés dans la main et d’entendre une serrure s’ouvrir »…
On voit dans ce reportage comment, et pourquoi, certaines femmes isolées sombrent et comment d’autres arriveront peut-être à s’en sortir. Et l’on y voit aussi, lorsque l’État est absent, l’abnégation de nombreux bénévoles au sein d’associations actives.

La solidarité existe, je l’ai vue. Elle m’a rendue l’espoir. Car si à quelques jours de l’hiver, le temps est clément pour les sans abris, les apparences sont trompeuses.

À Aix comme partout ailleurs, la rue reste sans pitié.

*****  

C’est un espace
Où j’erre et je passe
Et, c’est ma place

Funeste trottoir
Qui transforme mon vouloir
En très peu d’espoir

Sans aucunes clés
De ce trousseau cabossé
Reste à creuser

D’être un gisant
Je dois devenir orant
Simple demandant

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***
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1 commentaire

  1. A reblogué ceci sur jean-louis.riguet-librebonimenteuret a ajouté:
    Une pensée pour les plus démunis !

    J’aime

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