Prologue
Comme si l’homme en vert avait prononcé une formule magique, la porte à double battant s’ouvrit automatiquement devant lui. Il s’approcha de sa patiente. Deux infirmières s’affairaient déjà auprès d’elle. La pièce au carrelage immaculé baignait dans une lumière crue. Bien que rapides, tous les gestes étaient aussi coordonnés que précis. L’anesthésiste, emmailloté et masqué, était déjà prêt. Sans laisser paraître de réaction, il avait les yeux rivés sur l’écran où s’affichaient des constantes. Pourtant, des bips et des urgences sonores retentissaient en une arythmie propre à affoler bien des néophytes. Une femme d’une quarantaine d’années reposait paisiblement sur la table d’opération. Le neurochirurgien se pencha sur elle. Elle dût le sentir, car elle ouvrit les yeux, et lui sourit. Après s’être rapidement présenté et lui avoir dit trois, peut-être quatre, mots de réconfort, il lui dressa le tableau clinique de son état de santé. La voix était grave, le ton doux et presque chaleureux. En tout cas, l’homme en vert se voulait rassurant. Pourtant, les mots qu’il prononçait étaient effrayants. « Rupture d’anévrisme »… « Coma irréversible » … « Opération traumatisante et à haut risque » … Pourtant, sa patiente lui souriait toujours. Il balaya les options qui s’offraient à lui dans un jargon difficilement compréhensible, mais cela, non plus, ne lui fit pas disparaître son sourire enfantin. Puis, sans que ni l’anesthésiste, ni son assistant, ni les deux infirmières, ne s’en étonnent, il la pria de l’autoriser à opérer. Il alla même jusqu’à évoquer l’une ou l’autre des opportunités d’intervention. Enfin, il lui demanda jusqu’où elle lui permettait d’investiguer pour « clipper » le vaisseau sectionné. On aurait pu croire qu’elle avait acquiescé à toutes les questions, mais de toute évidence, elle n’était pas vraiment présente. Et si par miracle elle avait compris quelques bribes, son cerveau aurait tout gommé dans l’instant. D’ailleurs, il n’attendait aucune réponse. Il suivait juste un protocole. Il termina son monologue sur une phrase qui se voulait apaisante. – Ne vous inquiétez pas. J’ai eu votre mari au téléphone. Tout va bien. Puis, il baissa d’un ton et se retourna vers l’infirmière. – Son mari est arrivé ? – Non, Monsieur ! Il a bien quitté l’hôtel de Bora. Il tentait de prendre le premier vol, mais nous n’avons pas encore de ses nouvelles. – J’imagine que vous avez tenté de l’appeler. – Oui, Monsieur ! Mais nous n’avons qu’un numéro de portable, et … – Je sais ! L’administration ne nous a toujours pas accordé de ligne pour appeler en dehors de la Polynésie. Un soupir avait ponctué sa phrase. Pas de marque d’énervement, juste une certaine lassitude. Une respiration plus tard, il avait tranché. – On ne peut plus attendre. On y va !Le jour où tout a commencé
1
Deux mois plus tôt, C’était la énième fois qu’il regardait l’heure sur l’écran de son téléphone portable. Encore une nuit d’insomnie, comme il en avait trop l’habitude. Les yeux grands ouverts et fixant un plafond aussi sombre que ses idées, il attendait que l’aube se lève, enfin. Mais n’y tenant plus, il décida d’aller chercher un truc à grignoter à la cuisine. Avant de remonter se coucher, il s’arrêta devant la porte-fenêtre du salon. Au moment où il écartait machinalement le rideau, il sentit les lèvres de Madeleine se poser au creux de son cou. – Je suis désolé de t’avoir réveillée, lui dit-il à mi-voix sans toutefois se retourner. – T’inquiète, je ne dormais pas. – Allez Tom, viens te recoucher ! C’est samedi aujourd’hui, l’implora t-elle tendrement. – Je te suis d’ici quelques minutes, lui répondit Thomas. – Comme tu veux. Moi, j’y retourne, dit-elle en baillant bruyamment. Le cours Mirabeau était désert. Les terrasses des bars et des restaurants s’étaient recroquevillées pour la nuit. Il appréciait ces rares moments où ce haut lieu de la vie aixoise était plongé dans le calme absolu. Des moments où il pouvait contempler, comme l’aurait fait un collectionneur, le tableau que lui offrait la façade de la brasserie des « 2 Garçons ». Une institution de plus de 200 ans ayant accueilli autant d’artistes, que de touristes avec l’avènement des congés payés. Zola, Cézanne, Picasso, et puis plus tard, Truffaut, Belmondo, et tant d’autres célébrités, avaient contemplé le formidable décor de la salle principale de ce café. Elle n’était pas sans rappeler ses cousines, les grandes brasseries parisiennes, mais seuls les connaisseurs pouvaient déceler ses petites touches d’inspiration italienne qui la rendaient unique en son genre. L’heure avançait et Thomas vit bientôt les ouvriers de la voirie entrer en action. Il vit les vendeurs monter leurs étals et garnir les portants. Il vit également les premiers passants arpenter le Cours. Dans moins de trois heures, l’endroit grouillerait de monde et à nouveau, habitués, camelots, acheteurs et touristes se croiseraient sur la chaussée. Les places aux terrasses des cafés se feraient rares. Ah! Ces terrasses où, dès qu’un rayon de soleil pointait, il faudrait jouer des coudes pour trouver une table de libre. Un court instant, il regretta que celle des « 2 G » reste désespérément fermée depuis la mise en liquidation de l’établissement. Mais tout à coup, son regard se figea et il se mit à hurler d’une voix hystérique. – Mady, viens voir ! Il y a de la fumée qui sort des sous-sols des « 2 G » ! … Mady, réveille-toi ! Vite, viens voir ! Mady ! Dans cet appartement encore plongé dans l’ouate de la nuit, l’injonction aurait réveillé un mort. Et Madeleine bondit hors du lit sans prendre la peine d’enfiler un peignoir. Elle trouva son mari là où elle l’avait laissé, deux heures plus tôt. Il était tout excité et parlait comme s’il avait été en apnée depuis de longues minutes. – Regarde, les baies vitrées semblent bouger. – Mais où ça ? Fit-elle incrédule. – Mais là, devant toi, aux « 2 G »! Je suis certain qu’un feu couve à l’intérieur. À peine eut-il finit sa phrase qu’une explosion illumina la façade de la brasserie. On entendit très nettement tomber un peu partout des morceaux de verre. Les vitres du rez-de-chaussée et celles du 1er étage avaient cédé sous l’effet de la déflagration. À moins que ce ne soit l’inverse. Mais ni l’un ni l’autre n’aurait vraiment pu le dire avec certitude. Leur attention avait un instant été détournée par le tremblement de leur propres carreaux. En quelques minutes, un brasier s’était formé et de longues flammes venaient à présent lécher les pieds des deux figurines du 1er étage qui symbolisaient l’endroit depuis des générations. L’image qu’ils avaient devant les yeux était d’autant plus angoissante qu’ils percevaient des cris stridents émanant des appartements voisins. Hypnotisés par les flammes, ils n’avaient pas remarqué cet homme accoudé avec désinvolture au lampadaire, légèrement à gauche de leur champ de vision. Mais lorsque celui-ci alluma un cigare, leurs yeux furent attirés par la lueur née de la flamme de son Zippo. L’homme leur offrait son plus beau profil. Il tourna soudainement la tête dans leur direction, comme s’il avait senti qu’il était observé. C’est alors que leurs regards se croisèrent, et que le couple vit très distinctement son visage. Thomas relâcha le bord du rideau pour les dissimuler immédiatement aux yeux de cet inconnu, et fit instinctivement un pas en arrière. Mais il était trop tard. Thomas aurait pu en jurer. L’homme les avait vus. Déjà, des sirènes retentissaient au bas du Cours Mirabeau. Ni l’un ni l’autre n’avaient osé se montrer à la fenêtre. Mais plus question de se recoucher. De toute façon, le chaos généré par les lances à incendies, les ordres hurlés par les équipes de secours, les sifflets des policiers, les cris des riverains, sans omettre la poussée d’adrénaline qui les avait survoltés, rien de ce qui était en train de se passer sous leurs fenêtres n’était de nature à leur permettre d’espérer trouver le repos. Ils restèrent figés un temps qui leur sembla terriblement long, avant de se décider à aller s’asseoir dans la cuisine. Installés de part et d’autre de la table, silencieux devant un bol de café noir tout droit sorti d’une cafetière automatique dernier cri, ils n’avaient pas échangé un mot depuis qu’ils avaient vu le visage de cet homme. Il restait gravé dans leur mémoire. Et s’ils avaient fixé ensemble l’extrémité de la table, ils n’auraient pas été étonnés que son hologramme apparaisse instantanément. Ils n’avaient pas allumé la lumière. Et de toute façon, le bleu intermittent des gyrophares de la vingtaine de véhicules des sapeurs-pompiers suffisait largement à éclairer la pièce. Les mains de Madeleine tremblaient au point de faire tintinnabuler sa petite cuillère sur la soucoupe. Apparemment plus calme, Thomas était tout de même trahi par les contractions des muscles de ses mâchoires. À n’en pas douter, leurs neurones s’activaient à vive allure. C’est lui qui prit finalement l’initiative. – Il ne faut pas t’inquiéter, lâcha t-il. Si nous avons pu le voir, la caméra fixée sur la façade de l’immeuble ne l’a pas raté non plus. Il sera identifié dès qu’ils auront visionné les bandes. Pour lui, avant même d’être abordé, le sujet était clos. Il se leva, mis sa tasse dans le lave-vaisselle, et monta prendre une douche. Sur le coup, Madeleine se dit qu’il avait certainement raison. Mais elle releva aussi qu’ils avaient tout de même eu la même préoccupation. Lorsque Thomas sortit de la salle de bain, il trouva Madeleine qui tournait dans la chambre, bras croisés, et qui l’attendait de pied ferme. Il prit un air dégagé en choisissant la tenue qu’il allait mettre, mais son teint blafard laissait paraître, sinon une angoisse, tout au moins une certaine inquiétude. Il chercha une accroche de conversation moins bateau qu’un « ça va ? » ou qu’un « tu penses à quoi ? », mais Madeleine ne lui en laissa pas le temps. – Tom, je crois que nous devrions aller à la Police. – Je ne crois pas, non. – Ah non, et pourquoi ? reprit-elle avec agressivité. – Eh bien, Il y a de fortes chances pour que les enquêteurs commencent par interroger tous ceux qui étaient dans l’immeuble de la brasserie et ceux qu’ils ont dû évacuer dans ceux d’à-côté. Et puis, si on a un peu de chance, ils visionneront les enregistrements des caméras, qui n’ont pas pu le rater. – Parce que tu crois qu’ils ne vont pas faire du porte à porte dans tous les bâtiments qui font face aux « 2 G », peut-être ? Dit-elle en se forçant à ricaner. – Si, sans doute ! Mais les témoignages qu’ils auront ne seront pas capitaux. Ils viendront tout juste corroborer les images … – Mais tu rêves, mon ami ! Le ton de Madeleine était monté d’un cran dans les aigus. Elle continua sa phrase d’un trait sans prendre la peine de respirer. – Des gens comme nous, à leurs fenêtres au moment de l’embrasement, et qui déclareront avoir vu un type louche se régaler devant les flammes, c’est sûr, il va y en avoir plein ! – Calme-toi, ma chérie. Calme-toi … – Me calmer ?! Mais comment peux-tu rester calme, toi ? T’es inconscient ou quoi ? Vu la tournure de la conversation, il comprit qu’il était temps qu’il la prenne dans ses bras. Après une longue étreinte et quelques mots de réconfort, Thomas tenta de la rassurer. Et il commença par lui avouer que, lui non plus, n’en menait pas large. Il ne savait pas comment les policiers orienteraient leurs premières investigations, mais il était fort probable qu’une enquête de proximité serait diligentée. Et, à ce titre, il ne s’agissait pas de savoir s’ils seraient interrogés, mais plutôt, quand, un inspecteur viendrait frapper à leur porte. Allant plus loin dans ses doutes, il posa ouvertement une question bien plus dérangeante. Après tout, qu’avaient-ils vraiment vu ? Jusque-là, elle était restée muette. Mais n’y tenant plus, Madeleine le coupa net. – Mais on a vu le type qui a certainement foutu le feu à la brasserie, dit-elle à voix basse. Tu as bien vu son air, non ? – En es-tu vraiment certaine ? On a vu quelqu’un qui sans aucun doute se régalait devant le spectacle, ça oui ! Cela n’en fait pas pour autant l’incendiaire. – Parce que tu crois qu’il aurait pu être là par hasard, et se poster aux premières loges en attendant l’instant précis où le feu allait prendre ? Mais je rêve, finit-elle par dire. – Je n’en sais rien, répondit Thomas. Et ce n’est pas notre boulot de faire des raccourcis comme ça. Son avocat pourra facilement démontrer que c’est ce qui fait toute la différence entre une preuve directe et une preuve indirecte. – OK, OK, OK ! Mais alors, on va leur dire quoi aux flics, quand ils vont débarquer chez nous ? Désolé messieurs, on n’a rien vu. On dormait bien sagement. – Non ! Bien sûr que non ! Mais nous ne sommes pas obligés de parler de ce type. Ça changera quoi ? De toute façon, je te le répète. Les bandes des caméras leur seront bien plus utiles. Ils n’auront même pas besoin d’un portrait robot. – Et le type en question, tu crois qu’il ne va pas chercher à nous coincer ? Tu as vu sa tête quand il nous a aperçus. Honnêtement, tu penses qu’il va nous oublier, comme ça ? Dit-elle en faisant claquer ses doigts. – Écoute Mady, je n’en sais rien ! Finit-il par lâcher. Je n’en sais vraiment rien. Mais ce que je crois, c’est que l’on a intérêt d’attendre de voir comment ça tourne. Et en tout cas, les emmerdes, si emmerdes il y a, je crois que l’on n’a pas intérêt à aller les chercher en courant chez les flics. La suite de leurs échanges finit par tourner à l’avantage de Thomas. Il réussit à convaincre sa femme qu’il était finalement urgent d’attendre. Et c’est ensemble, qu’ils décidèrent de ne pas bouger de l’appartement durant tout le week-end. Ce n’était d’ailleurs pas un grand sacrifice. La météo s’annonçait exécrable, et ils avaient deux ou trois films enregistrés à voir, sans compter que, pour une fois, ils amortiraient leur abonnement à Netflix. Quant aux suites de l’incendie, ils pouvaient faire confiance aux médias et aux réseaux sociaux pour les tenir au courant des premiers développements. …….. Hâte de découvrir la suite du roman, et de l’acheter ?-
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