Durée de lecture : 4mn 20s
Cela fait une vingtaine d’années que je traîne une sorte d’apathie, un épuisement. C’est un truc bizarre qui s’aggrave parfois certains jours.
Alors craignant le pire, j’ai décidé de me faire soigner. Je redoute que cette année encore, je connaisse de nouvelles crises.
La salle d’attente du médecin est comble ; j’ai si peur de la contagion, que j’en profite pour améliorer mon potentiel d’apnée individualiste.
Ce n’est que bien plus tard, une fois entré dans l’antre médical, que le dialogue traditionnel entre docteur et malade s’instaure.
– Alors cher monsieur, quels sont vos symptômes ?
– Je ne sais pas trop, docteur, je me sens tout mou … démotivé et morose.
– Bon, mettez-vous en sous-vêtements et grimpez sur la table d’examen !
Certes, le ton est un poil routinier, mais très professionnel. Je m’exécute donc, et le rituel peut débuter : le pouls, la tension, le « dites 33 », la languette qui fait presque vomir, les ganglions, … c’est la totale, ponctuée d’observations anxiogènes.
– Voyons, voyons… Hum … Hum… Hum… Ah tout de même ! … Hum … Hum …
N’y tenant plus, je décide d’engager les hostilités.
– Oh docteur, vous m’inquiétez avec tous ces « Hum ». Qu’ai-je donc qui vous rend si perplexe ?
– Et bien, je ne vais pas vous mentir, c’est sérieux.
– Et ? …
– … Vous avez une démagogie !
– Une quoi ?
– Une démagogie, vous dis-je.
– Et qu’est-ce donc une démagogie ?
– C’est un virus qui a atteint votre démocratie et qui provoque une fatigue morale.
– Ah Bon ?! Vous croyez ?
– J’en suis certain ! Ressentez-vous comme une passivité ? me dit le bon docteur, en enfonçant là où ça fait mal, au niveau du … social.
– Ah ça non, docteur ! Je donne mon avis à tort et à travers sur la majeure partie des réseaux sociaux ! M’offusquai-je.
– C’est bien ce que je pensais, rétorqua t-il, pas le moins décontenancé.
Et il poursuivit sans sourciller.
– Êtes-vous en panne de croissance ?
– À mon âge, j’en ai bien peur, docteur.
– Encore un signe ! Un manque de vitamines, et un important déficit qui crée des lourdeurs !
Il me toisa de haut en bas, puis continua son interrogatoire avec toujours autant d’assurance.
– Cela fait-il longtemps que vous n’avez pas ressenti un sursaut national ?
– Excusez-moi, mais un sursaut … quoi ?
Il soupira avec ostentation avant de reprendre.
– Avez-vous tendance à vous replier sur vous-même ?
– Ben, à vrai dire docteur, je me sens si bas que j’essaie avant tout de me soutenir moi-même.
C’est alors que mon angoisse monta d’un cran, lorsque je le vis mettre des gants.
– Vous êtes-vous laissé gagner par une élite ?
– Comment ça, une élite ?
– Vous savez, ces sortes de bigleux autistes élevés dans une boite à énarques, qui nichent avec des morpions « homo-expertus » et qui vous mangent la tête et … comment dirais-je … la bourse ?
– Je suis envahi, docteur, répondis-je spontanément de peur qu’il ne décide de poursuivre un examen plus intrusif.
– Démagogie, vous dis-je ! Avez-vous certains dimanches comme une certaine lourdeur qui vous ferait traîner les pieds ?
– Maintenant que vous le dites … Ce sont effectivement les dimanches, opinai-je, la voix plus assurée depuis qu’il avait porté son attention sur cette partie de mon anatomie.
– Une lourdeur qui vous ferait hésiter à vous déplacer dans des écoles ou une mairie, par exemple ?
– De plus en plus, docteur.
– Êtes-vous tenté, ces fameux dimanches, par des choix … disons, extrêmes ?
– Je dois bien l’avouer, docteur, ça m’arrive.
– Démagogie ! Et regardez-vous fidèlement les nombreux épisodes de la série politico-financière : « Jacques, Nicolas, François, et les 1.000 voleurs ?
– Oui, docteur. J’en suis totalement escroc … euh non, accroc !
– Ah, il y a donc aussi une dépendance. Des indigestions ?
– C’est vrai ça ! Il y a des fois, je ressens comme des nausées.
Mais où voulait-il donc en venir avec toutes ces questions sans queue ni tête ?
– … et n’auriez-vous pas dans la bouche comme un goût de vieux ?
– Du vieux oui, mais aussi du réchauffé, ou alors vous savez, comme un goût de parti … euh non, de pneu rechapé, répondis-je tout ébaubi de la perspicacité du praticien.
– Et finalement, auriez-vous tendance à vous tourner vers les plus grands menteurs ?
– Bah oui, docteur, une fois encore je l’avoue.
– Et bien voilà, nous y sommes ! Démagogie, démagogie, démagogie ! Vous avez une crise de démagogie et je dirai même plus, une démagogie aigüe !
Écrire que j’avais tout compris serait très présomptueux de ma part, mais j’avais bien saisi que la situation était très préoccupante.
– C’est grave, docteur ?
– Très sérieux. Nous sommes en pleine pandémie. Vous risquez une gangrène totalitaire et si la contagion gagne, qui sait, une guerre intercellulaire !
– Mais je n’ai jamais entendu parler de ce virus !
– C’est le G8-E27, de son nom latin : « lobby universalis corruptius suffrageum ».
Derechef, ma décision est prise. Je dois absolument entrer en lutte : sus au virus !
– Mais alors, docteur, que dois-je faire ? Vous avez une posologie pour ce genre de maladie ? Un vaccin ? Un sérum, …, une purge, peut-être ?
– Rassurez-vous, il existe un traitement efficace ! Mais il ne faut pas avoir peur du changement.
– Je me sens prêt. Vite docteur, une ordonnance !
– Ah mais, comme vous y allez, c’est que ce traitement n’est pas prescrit en libéral ! Et puis … il va falloir être fort et courageux.
– Je vous en supplie, docteur…
Il fallait absolument que je fasse fléchir mon homme providentiel.
– C’est un régime très strict. En tout premier lieu, il faut arrêter de manger du veau.
– Vous voulez certainement dire du porc, docteur.
– Le porc, si vous le voulez. Mais j’ai bien dit : du veau !
– Bah pourquoi, docteur ?
– Parce que le cannibalisme est dangereux ! Ne vous êtes-vous pas déjà mordu la joue ?
– Quelque fois, c’est sûr.
– Et bien voilà ce qui arrive lorsque l’on mange du veau ! À force, on risque de ne plus savoir qui mange ou qui tète qui !
– Ah, je comprends, répondis-je pour couper court avant que ce bon docteur ne me mange les ris (autre version de l’expression populaire : « me casse les noix »). Et c’est tout, docteur ?
– Bien sûr que non ! Il faut aussi vous sevrer de médias, prendre un immuno-dictateur en pilule, et du sursaut énergique en piqûre… Ah, j’allais oublier : évidemment mettre au repos la démocratie.
– Bah comment ça, docteur ?
– Et bien, si vous préférez, beaucoup moins de libertés !
À ces derniers mots, et tout en recouvrant mes côtes, une immense perplexité m’envahit. Délesté de quelques perles de mon collier (… de veau), et alors que je m’apprêtais à saluer ce médecin au diagnostic peu commun mais combien équarrissant, une dernière question me vint à l’esprit :
– Et vous n’auriez rien en suppositoire ?
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Le peuple est démos
Le pouvoir devient cratos
Nous rangeons notre os
Malade d’énergie
Comment cela se traduit ?
Pour rester en vie …
Découvrez la suite de l’illustration poétique de Didier REGARD
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Le 6 novembre prochain, vous pourrez découvrir « Amour, couleuvres et langoustes« , la prochaine Nouvelle que je publierai sur ce blog.
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Bernard Lamailloux
/ 26 octobre 2014Pascal cultive tout un tas de choses aussi diverses qu’inattendues, parmi lesquelles la métaphore arrive décidément en très bonne place. Chapeau l’artiste !
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Fabienne Allard Korolev
/ 26 octobre 2014Pascal ?!?! Nous sommes sous une démocratie manipulatrice ! Une liberté contrôlée, cloisonnée, verrouillée… Mais bon en même temps c’est nettement mieux que la bourka!!! Nous vivons une politique ultra liberaliste…
Fabienne Allard
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pascalaunay
/ 26 octobre 2014C’est vrai. Quelqu’un a dit ou écrit quelque chose d’approchant : » la démocratie, ceux qui ne l’ont pas la réclament, ceux qui l’ont la décrient »…
Mais par les temps qui courent, toute cette bouillie nauséabonde me fait vomir autant qu’elle m’attriste… Quel gâchis !
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Isabelle Dossa
/ 27 octobre 2014Cette lecture me laisse a penser que la profession médicale n’est pas complètement perdue , certains professionels ont un diagnostic très sûr !
Encore faut-il de fait que le patient ait un vêtement adéquat pour le diagnostic… La bourka ne rend certes pas le dignostic très facile !
De plus il va de toute façon falloir trouver le bon traitement, régime sans veau OK mais je suis contre les imuno dictateurs en pillule ou sous quelque forme qu’ils soient , les contre-indications et effets indésirables sont beaucoup trop nombreux et n’oublions pas …
peuvent tuer le pacient !!!
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pascalaunay
/ 27 octobre 2014Ah mais ça alors !!! J’avais oublié qu’une pro se cachait derrière une amie, et qui plus est, une follower.
Doc Isa, je t’en prie, vite, une ordonnance !
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