« Opinion publique, paresse privée » (Nietzsche)
À peine douché, Antoine entre dans la cuisine. Son petit-déjeuner l’y attend. Il salue la femme qui lave son bol par un « bonjour M’man » mécanique sans pour autant prêter aucune attention à la réponse qui lui est faite. C’est qu’il n’a rien à dire de plus à sa mère depuis … D’ailleurs, il ne saurait même pas dire depuis quand. Son dentiste de père est déjà à son cabinet, tout occupé sans doute à soigner quelque molaire enflammée ; mais Antoine, du haut de ses 18 ans, n’en a cure.
Il traîne un peu devant son jus d’orange et ses choco-pop’s. Il regarde fixement la trotteuse de l’horloge murale, et comme si une main invisible avait appuyé sur le bouton déclencheur d’un ressort mécanique, il se lève. Sans même prendre la peine de ranger son bol et sa cuillère dans le lave-vaisselle, il enfile un blouson, vérifie la présence d’un bandana dans l’une des poches, saisit l’anse du sac où dorment ses cours, et finit par déchirer le silence de la maison par un « j’y vais » sibyllin.
Il fait le tour de la maison, vérifie que des yeux indiscrets n’ont pas eu la mauvaise idée de le suivre, et disparaît un instant derrière une grosse jarre d’Anduze pour se saisir d’un casque déniché une semaine plus tôt au hasard d’une poubelle.
Son lycée n’est qu’à une dizaine de minutes à pied, et pourtant, il s’engouffre dans une bouche de métro dont la gueule grande ouverte n’est pas encore rassasiée des laborieux du matin. Par prudence, il a décidé de refaire surface à la station « Temple » afin d’accéder, Place de la République, en toute discrétion.
À l’approche du groupe qui lui est désormais familier, il se redresse. Il tape dans quelques mains, se contente parfois d’un haussement du menton. Chaque contact, chaque signe, lui donne un peu plus d’assurance et de force.
Un homme d’une quarantaine d’années assène les nouvelles vérités que les tenants du système taisent depuis trop longtemps. Lui, il s’en fout. Il est là pour défendre les grandes causes : la justice, la liberté, la paix dans le monde,… À l’image du « Che », dont il a accroché la photo au pied de son lit, il rêve de révolution.
En haut d’une estrade improvisée, la lutte a déjà trouvé ses coupables. Les politiques, les patrons, les riches sont jetés dans la même eau sale. C’est bien ça, tous des salauds ! Les jugements tombent comme des couperets. Le pouvoir est assassin, la rue est souveraine. Le porte-voix change de mains, les slogans sont ahanés pour emplir toutes les têtes le temps d’une marche : « Valls, ta loi sur le travail, on la connait pas, mais la jeunesse n’en veut pas », « Sur le pont d’Avignon, les patrons nous les pendrons, vive l’autogestion ! »…
Allez, debout ! Il faut rejoindre la tête du cortège avant qu’il ne s’ébranle, et surtout crier l’injustice et le refus d’un monde déliquescent.
Antoine est enflammé, il se sent fort et galvanisé au milieu de ses frères en lutte. À quelques mètres déjà, il aperçoit une rangée de CRS menaçants, casqués, bouclier au poing et matraque en main.
Un groupe les harcèle, des projectiles volent et bientôt la riposte s’organise. Il est temps de mettre son casque, de couvrir son visage du précieux foulard et de saisir un pavé. Bientôt, le flux et le reflux des charges vont bientôt l’emporter.
Marie-Chantal boit un café en compagnie de ses collègues de travail. Il n’y a pas vraiment foule aujourd’hui au service de l’urbanisme de la mairie. La conversation est enjouée. Elle parle de ses projets de vacances, de son petit dernier et partage son angoisse au sujet du grand qui passe bientôt son bac. Son portable sonne. Elle décroche avec cette mimique d’incrédulité que l’on fait tous lorsque l’on ne reconnaît pas le numéro qui s’affiche. Le silence s’est fait autour d’elle. Il y a des conversations que l’on ne voudrait pas entendre, mais que l’on ne peut pas s’empêcher d’écouter… Oui, c’est bien elle… Mais pourquoi à l’hôpital ? … Non, c’est impossible, à cette heure-ci mon fils est au lycée… Vous êtes sûr ? … Le regard dans le vide, elle raccroche. Elle n’arrive plus à se situer, elle titube. Quelqu’un a la présence d’esprit de lui apporter une chaise. Personne n’a osé la questionner, mais de ses lèvres blanchies sortent mécaniquement des mots que son cerveau semble ne pas encore avoir assimilé : « Mon fils est aux urgences. Mon Antoine est dans le coma ».
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L’inspiration de Didier Regard
Zéro et un
Ta tête est programmée
Comme ton acné
Pour être un crétin
En Zéro, t’es un
C’est ce que ton casque contient
Tu n’es pas protégé de l’intérieur
T’es connecté à ton postérieur
Ta réflexion est sur deux neurones
Qui, en plus, sont asynchrones
T’es le bon binaire
Et tu crois que ça va le faire
On te demande de répéter
Une pseudo doxa révolutionnaire
Et, comme tu n’as rien à faire
C’est mieux de tout péter
Le Zéro, t’en es un
C’est même ton avenir certain
Et c’est ça que tu proposes ?
Pour marquer une pause ?
Ton système te veut pour cible
Et, tu te rends accessible
T’as déjà mis ton pyjama
Pour aller dans ton coma
Basta…..
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