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Des manifestations spontanées dans la rue de quelques milliers de personnes, quelques « Je suis syrien », un appel aux maires de France, des lettres ouvertes et des pétitions, des élans individuels de solidarité très largement relatés dans la presse et les médias, … Ah, qu’il est magnifique le réveil des consciences, depuis qu’a été diffusé jeudi dernier, la photo d‘un enfant de 3 ans, découvert mort sur une plage de Turquie !
Pourtant, le corps inanimé de son frère de 5 ans avait été retrouvé auparavant sur la même plage, sans que cela ne suscite autant d’émotions. Allez comprendre !
Est-ce parce que ce petit corps avait été recouvert d’une veste ? Le drame en était-il pour autant moins atroce ? Non, bien sûr !
Alors, que s’est-il passé ?
L’image est différente : un homme en uniforme tient dans ses bras le trop jeune enfant, dont on nous dévoile le nom et l’histoire. Il prend donc, sinon vie, tout au moins chair et corps. Aylan Kurdi venait de Kobané. Sa mère et son petit frère sont morts noyés avec lui. Son père n’a pas pu les sauver. C’était une famille dans la vraie vie. Le commentaire en turc est millimétré : « L’humanité échouée ».
C’est que, la Turquie, nous dit-on, a accueilli 2 millions de réfugiés syriens ces 4 dernières années. Il serait donc temps que l’Europe arrête de critiquer la façon dont ils sont traités, et prenne en charge, ce qui est selon le gouvernement turc, un problème européen. Car depuis ces 4 dernières années, de combien de réfugiés parle t-on en Europe ? 350.000, d’après l’Organisation Internationale des Migrants. Combien en France en 2014 ? 65.000 demandes d’asile, 14.600 accordées (même s’il n’y a pas de reconduite aux frontières. Ce qui pose au passage une question : où sont abandonnées les personnes ayant rempli un dossier ?).
Jusqu’ici, l’opinion publique, régulièrement alimentée par les journaux TV, n’avait pas bronché. C’est à croire, qu’il n’y avait dans les bateaux des passeurs que des hommes. C’est à croire, qu’il n’y avait que des adultes, parmi les 3.500 morts comptabilisés en méditerranée sur 2014, et les 2.640 noyés déjà identifiés depuis le début de 2015.
Mais là, c’est différend. Il s’agit du corps d’un enfant mort, pas d’une statistique ou de l’abstraction d’un décompte mortuaire.
À elle seule, la photo provoque donc un choc véhiculé, en temps réel, sur les réseaux sociaux. Puis dans les médias traditionnels…, sauf dans une France préoccupée par les embouteillages parisiens, et où les leaders d’opinion se demandent encore s’il faut, ou non, publier la photo.
C’est dommage qu’ils n’aient pas remarqué que le sujet était clos : la photo était publique !
Dans le même temps, ce jeudi, l’onde de choc se propageait.
Une certaine presse estimait sans doute tenir un bon filon. Oh, elle n’attendait pas le nombre de ventes réalisé lors de la mort de Lady Di, mais tout de même… Alors, les « Unes » des quotidiens internationaux font dans la surenchère :
« La photo qui fait taire le monde », « Nous pleurons », « Le symbole du drame migratoire », «L’Europe n’a pas pu le sauver »,« Le naufrage de l’Europe », …
Comme elle sait si bien le faire, la presse anglaise arrive en tête, oubliant de ne s’être pas émue lorsque son pays consentait à verser quelques subsides à la France, afin d’éviter l’afflux de migrants sur le sol de Sa Majesté.
Oh, ne leur jetons pas la pierre ! Sur le continent, ce n’est guère mieux.
… Un choc, donc !
Un choc qui semble surprendre un monde politique, qui a pourtant cette tragédie sous les yeux depuis 4 ans.
Et oui, quelques heures plus tôt, l’Europe affichait encore des postures bien rodées et glosait sur des questions de vocabulaire.
La France, par exemple, ne voulait pas de quotas contraignants, elle ne voulait même pas entendre parler de quotas, terme philosophiquement trop dégradant à ses yeux.
La France, gouvernée par des décideurs tiraillés par une opinion publique qui, pour 56% d’entre elle, ne souhaite pas accueillir de migrants (sondage du mardi – 55% le samedi…) ; la France, qui s’est vue incapable d’intégrer les flux migratoires dans de bonnes conditions depuis bien trop d’années ; la France, dont les grandes villes sont rongées par le communautarisme ; la France, où 10 millions de personnes vivent dans des conditions précaires et où la crise économique laisse déjà sur le pavé tant de foyers qui ont de plus en plus de mal à comprendre que l’on ne peut toujours rien faire pour eux ; la France, où trop d’immeubles sont délibérément laissés vides, comme ceux situés à proximité des quais de Seine parisiens peuplés de longs linéaires de tentes et de linges exposés à tout vent ; la France, en déficit chronique de logements sociaux, …
Et pourtant, une France plurielle, aux élans de solidarité parfois formidables.
… Un choc, donc !
Par conséquent, il est urgent de montrer que l’on s’agite. Il est indispensable de multiplier les annonces.
Ainsi, notre Président, prompt à la « récupération politique des luttes actuelles des migrants », (comme bien d’autres personnalités trouvant une belle occasion de sortir de leur boîte à coucous), convoque ses ministres concernés – la bonne idée ! – Décision est prise de rencontrer Mme Merkel – re-bonne idée ! – La France et l’Allemagne va soumettre aux autres pays européens des « propositions communes pour l’accueil des réfugiés »…
Mais au-delà des déclarations humanistes effectuées la main sur le cœur, « terre d’accueil », « convention de Genève », … j’en passe et des plus grandiloquentes, chacun s’organise sur ses terres.
Les tensions montent face à l’afflux de dizaines de milliers de réfugiés et de migrants qui n’ont, il faudra bien l’admettre, pas l’intention de se voir imposer un pays d’accueil.
Ici, ce sont des forces anti-émeute qui interviennent, là, ce sont des frontières qui se verrouillent, là encore, et alors que l’on parle de construction de centres d’accueil pour ne pas dire de rétention (toujours ce foutu vocabulaire), on évacue des campements sauvages (où ?), …
Autant prédire que de nombreux enfants ont le temps de se noyer avant que des quotas soient négociés, des mesures efficaces actées, mises en place, et qui produisent des effets.
Une seule photo peut parfois faire basculer les opinions. Mais si l’on en croit le passé, dans une année, un mois, une semaine, … qu’en restera t-il, sinon des envolées lyriques, des mesurettes dont certaines seront inapplicables, des bombardements isolés contre les méchants, … et des camps de malheureux toujours plus nombreux et sans grand espoir d’avenir.
Europe, Europe, il est tant de te transcender !
Il est temps que les déclarations enflammées de tes dirigeants fassent place à l’action. Il est temps de montrer enfin que tu n’es pas un puits, administratif, financier, et de complexité, sans fond.
Il est temps de montrer que tu sers à quelque chose.
Il est tant de fédérer et de soulever l’enthousiasme de tes citoyens !
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Le choc des photos
On ne trouve plus les mots
Un nouveau chaos
Tout, in-extenso
Et moi, tout incognito
Tout derrière les pros
Ces faiseurs d’info
Qui délivrent par kilo
Avec vidéo
Mais là, trop c’est trop
L’Europe est sur le carreau
Et … y’a pas photo
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