Liberté, Liberté chérie …


Durée de lecture : 3mn  44s

De nouveaux moyens aux services de renseignements pour les aider à lutter contre le terrorisme et la cybercriminalité, quoi de plus légitime ? Oui mais voilà, tout n’est pas si simple…
Je balance entre le bien-fondé de cette nouvelle loi et son côté liberticide. Les arguments « pour » et « contre » se bousculent aux portes de ma conscience.
Dans les média, dans la rue, je lis et j’entends le meilleur, mais aussi le pire. Et je suis inquiet. Je suis inquiet, car je sais aussi que dans l’hémicycle, ceux qui s’apprêtent à voter manient les grandes idées sans utiliser quotidiennement internet, ni posséder de solides connaissances technologiques.
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Alors, que penser? Ma réaction première est aussi simple que sincère :
La démocratie est vulnérable. Certains sont prêts à utiliser les moyens les plus violents pour faire valoir leurs convictions. Le terrorisme n’a ni limite, ni frontière, ni humanité. Le combattre, c’est anticiper ou compter ses morts.
Parce que je n’ai rien à me reprocher, cela ne me pose aucun problème de permettre aux services de renseignements d’écouter une personne, dans sa voiture, dans son appartement, lors de ses appels téléphoniques et sur internet, pour peu qu’elle ait un « comportement suspect ».
Certes, on va pouvoir me surveiller par toute sorte d’outils technologiques, mais est-ce vraiment si important ? J’imagine que l’État a des cibles nettement plus inquiétantes à surveiller qu’un citoyen sans histoire.

Cependant, quelques petits détails si justement soulevés me perturbent.
Tout cela pourrait se faire désormais sans le moindre contrôle, sous l’autorité du seul 1er Ministre ?! Un juge ne serait plus nécessaire pour effectuer de telles surveillances ?! Il existerait tout juste une commission de contrôle au pouvoir consultatif ?!
Et, il y a ce terme : « comportements suspects ». Que ces deux mots peuvent-ils bien recouvrir ? Et puis, il ne s’agirait pas seulement de terrorisme, mais également « d’indépendance nationale, des intérêts majeurs de la politique étrangère, des intérêts économiques industriels et scientifiques majeurs de la France, de la prévention des atteintes à la forme républicaine des institutions, des violences collectives de nature à porter atteinte à la sécurité nationale, de la reconstitution ou d’actions tendant au maintien de groupements dissous ». Diantre ! Quel champ d’actions.
Et enfin, la surveillance des claviers d’ordinateur ou encore les « boîtes noires » qui stockent des méta données, soit l’ensemble de nos échanges électroniques et numériques, pourraient être saisissables à tout moment ?!

Voilà tout de même de quoi réfléchir sérieusement à ce côté, sans conteste, liberticide d’une loi destinée à mieux défendre la République.
Je décide donc d’explorer plus avant ces contre-arguments inquiétants.

En premier lieu, on dit qu’il y aurait grand danger si la France était gouvernée par un régime totalitaire. Certes, mais si totalitaire il était, la loi y changerait-elle quelque chose ? Quelle qu’elle soit, soyons certains qu’il la façonnera conformément à son dessein, et en s’appropriant les outils lui semblant les plus judicieux.
Ensuite, que penser de l’absence préalable d’accord d’un juge ? Certes, elle peut être préjudiciable. Mais quelle impartialité accorder à une magistrature dont le principal syndicat « s’amuse » à créer un pêle-mêle de « mur des cons » ? Les juges seraient-ils les seuls humains à ne pas être tentés de mener des croisades partisanes ?
Quant à l’espionnage, de quelque nature que ce soit, il serait absurde de nier qu’il a toujours existé. Ne chercherait-on pas à officialiser ce qui est déjà une réalité ? Nous avons tous en mémoire des pratiques ou des opérations illégales révélées à des moments fort judicieusement clés de la vie de la Cité. Leur révélation a t-elle véritablement changé le cours des choses ?

Mais alors, encore une fois, que penser ? Ce projet de loi est-il un mal nécessaire ? Porte t-il en lui une atteinte irrémédiable à la liberté et à la vie privée des individus ?
Ne soyons donc pas naïfs ! La liberté individuelle que certains veulent défendre n’existe déjà plus. Nous l’avons volontairement abandonnée :
Nous possédons une voiture équipée d’un GPS et une carte bancaire ; certaines villes sont lourdement équipées de caméras, tout comme les autoroutes… Et puis, n’avons-nous pas accueilli avec allégresse la révolution fantastique des communications associée à l’explosion d’internet ?
Ce faisant, tous les jours nous acceptons des cookies qui ont pour tâche de traquer nos moindres requêtes, et d’anticiper certaines de nos envies.
De temps en temps, nous croyons faire disparaître nos traces après avoir navigué au coeur de la toile, mais il n’en est rien. Facebook, Amazon, Google, Apple, et quelques autres géants mondiaux ne font pas que les stocker. Ils les exploitent à bon compte. Et certains États en profitent déjà sans vergogne.
Nos téléphones portables, ordinateurs et autres tablettes, gavés d’applications qui fédèrent nos contacts, nous localisent et nous indiquent comment nous déplacer. Nous racontons nos vies sur les réseaux sociaux, nous achetons des produits sur des sites aux tentacules mondiaux. Nous sommes répertoriés sur toute sorte de fichiers.
C’est une évidence, nous vivons à l’ère des objets connectés. Aujourd’hui ce sont des bracelets ou des montres, des lunettes, et même des pacemakers connectés ; bientôt, nos corps porteront des puces.
De surcroît, lorsque nous y sommes « invités », comment sécurisons-nous les accès à nos données ? Par des mots de passe ! 00000, 12345, azerty, ou qwerty, nos dates de naissance, sont les plus utilisés. Pourquoi si peu d’efforts ? Mais parce que, noyés dans la masse, nous nous croyons invisibles. Certains y croient même sauvegarder leurs libertés individuelles !
Mais de l’iceberg technologique dont nous profitons, la plupart d’entre nous ne connaissons que la partie émergée.  À moins d’être persuadé que cela ne peut exister que dans les films, est-ce raisonnable de croire que les services généraux du monde entier en sauraient moins sur nous que Google et consorts, qui auraient en quelque sorte privatisé le Bigdata et les algorithmes associés ?

Et donc ..? Et donc, il faut décidément en convenir : dans l’équilibre entre la surveillance et la protection, les limites de la liberté individuelle sont déjà largement franchies. La réalité nous a dépassés, et ce n’est pas un projet de loi, ou des déclarations d’éthique, prononcées la main sur le coeur, qui éviteront des velléités liberticides supplémentaires.
Un professeur de droit administratif m’a dit un jour que « créer de la norme, c’était créer du hors norme ». À bien y réfléchir, je crois fortement que légiférer, ou pas, n’est ni la question, ni la réponse.

Et donc … que faire ? Et bien si l’équation entre liberté, droits individuels, justice, terrorisme et cybercriminalité, me semble insoluble, il m’apparait en revanche certain qu’il est urgent de mutualiser les données sous contrôle, plutôt que de se lancer dans une multitude d’initiatives plus ou moins bien encadrées par un mille-feuilles de lois inextricables.

*****

Je ne suis qu’un pion
Propre à la délation
Il est où l’espion ?

Jugeant mes actions
Et toutes compromissions
Pour l’adaptation

Ma sécurité
Pour que je prenne mon thé
Là, faut arrêter !!!

Une devinette :
l’état met des lunettes
Sur mon internet ?

Je suis lucide
L’état qui tout décide
Liberticide

 Découvrez la suite de l’illustration poétique de Didier REGARD

*****

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4 Commentaires

  1. F Hollande, qui devait avoir connaissance de ton post, a déclaré en début d’après-midi : « Je vois bien les attentes, les colères, et les résignations. Il y a ceux qui n’attendent plus rien. Je fais en sorte de leur apporter ce qu’ils attendent… » SIC !

    Et pour te rassurer, la savoureuse série de Vidberg, dont le dernier opus t’est également destiné :
    http://vidberg.blog.lemonde.fr/2015/04/18/nous-navons-pas-la-technologie-pour-surveiller-tout-le-monde/

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  2. Jean-Luc

     /  20 avril 2015

    Oui Pascal. Encore une question bien compliquée.
    Je me pose quand même la question de l’efficacité des dispositifs proposés, gigantesques filets dérivants accumulant une masse de données à traiter phénoménale. D’autant que les *vrais* terroristes et cybercriminels, principales cibles de ces dispositifs, se sont *peut être* rendu compte qu’il existe des moyens pour échapper à ces contrôles (oups, j’espère que je n’ai pas dévoilé un secret).
    Pourquoi consacrer autant de moyens à des dispositifs d’espionnage du grand public peu efficaces (au regard des cibles), plutôt qu’à une lutte plus ciblée ?

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