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Installé à la terrasse du « Bar des Sports », je profite de la douceur de la matinée.
Ici, le temps s’écoule tranquillement. La pleine saison est terminée depuis longtemps.
Les plaisanciers, en tout cas la plupart, ont laissé leur passion solidement accrochée à leur anneau. Aujourd’hui, seuls une école de voile et le ferry sont de sortie.
À mon grand étonnement, après les excès de l’été, la mer n’est pas rancunière. Elle garde pour elle ses blessures et nous offre à nouveau une eau transparente.
Non loin de moi, la petite locomotive du vendeur de marrons est déjà installée. Son propriétaire n’est pas encore aux commandes. Mais ce soir, lorsque les rayons du soleil auront faibli, il y a fort à parier que, tout comme ses collègues vendeurs de crêpes et de gaufres, il ne chômera pas.
Quelques artistes-peintres ont monté leur stand. Les styles diffèrent, mais le plus souvent, on y retrouve fort à propos, le port, la mer et les bateaux. Chapeau sur la tête et livre en mains, ils sont décidés à attendre plusieurs heures que des curieux jettent un oeil sur leurs toiles, ou tout au moins, lient conversation.
Les bords du quai principal sont peuplés d’une petite foule bigarrée. Les profils des badauds sont hétéroclites.
Il y a ceux qui se dirigent résolument vers le marché, et puis ceux, plus matinaux, qui en reviennent les sacs chargés de diverses victuailles et de légumes de saisons aux couleurs acidulées. Il y a les promeneurs qui s’attardent devant les petites cabanes, où les pêcheurs du coin exposent les fruits de leur sortie quotidienne sur des lits de glace pilée. Il y a ceux qui se faufilent adroitement pour ne pas perdre la fluidité indispensable à la poursuite de leur parcours sportif préféré. Ils pensent déjà au chemin des douaniers qu’il va falloir grimper. Il y a de jeunes enfants qui tiennent sagement la main de l’un de leurs parents, ou qui les suivent en trottinette. Il y a les locaux, les habitués et aussi quelques touristes. Il y a … Il y a là, tous les âges, toutes les classes sociales.
Et bien sûr, il y a aussi des petits et des gros chiens qui font leur première promenade de la journée. Ils se reniflent et font connaissance. Aucune agressivité, aucun aboiement. À croire que la décontraction ambiante les a aussi gagnés.
C’est un coin du monde où règne la paix et la liberté.
On pourrait même croire que chacun à laisser temporairement de côté ses soucis.
Nous sommes bien loin des atrocités du monde, relayées ou oubliées par les journaux d’information continue.
Malgré leurs différences, les gens échangent. Ils se parlent. Ici, c’est une demande de renseignements, là, un échange autour des noms des « pointus » bariolés », là encore, ce sont quelques mots à propos d’un jeune chien frétillant. Et puis, … Et puis on ose aussi des regards complices à propos de tout et de rien.
Mon regard vagabond accroche tout à coup la silhouette d’un petit bout de femme d’environ 70 ans, et celle d’un homme qui, je l’imagine, est son mari.
Bien que l’on ne soit que samedi, ils sont tout endimanchés.
Jupe droite mi- longue blanche, chemisier à l’imprimé fleuri, elle a enfilé un cardigan rouge vermillon. Droite comme un « i », elle est maquillée juste ce qu’il faut pour paraître plus rayonnante que ce qu’elle devait être au réveil. Lui, élégamment vêtu d’un costume bleu marine, un foulard impeccablement noué autour du cou, porte une casquette vissée sur la tête. On ne peut deviner aucune expression sur son visage, tant il est incliné sur sa poitrine.
Elle ne lui tient pas la main. Elle est agrippée aux poignées du fauteuil roulant qu’elle pousse avec une infinie précaution.
Il n’esquisse aucun geste. Oh, il n’est pas mort. Il n’est tout simplement plus là !
Ils semblent tous deux hors champ de la scène qui se joue sous mes yeux. Ils m’apparaissent dans une bulle entourée d’un halo luminescent de solitude, qui les fait évoluer au cœur d’un autre espace temps.
Pourtant, ils se promènent au beau milieu du port, profitant comme nous tous de la douceur de la matinée. Tout le monde les a vus. Mais personne n’ose vraiment poser les yeux sur eux. Aucun sourire ne leur est adressé.
C’est bien ça ! Tout le monde les a vus, mais personne ne les regarde.
Oh non, ce n’est pas de l’indifférence… C’est une sorte de cocktail étrange. Une grosse dose de gêne, une bonne rasade de peur, et un trait de fausse ou de vraie pudeur.
Mais au bout du compte, pour cette femme, le résultat est le même. Autour d’elle, on se comporte comme si, l’un et l’autre, n’existaient pas.
Au début, c’était elle qui se sentait mal à l’aise. Elle se croyait réduite à une ombre. Mais, au fil du temps, elle a appris à s’accommoder du non-regard des autres. Elle ne s’est pas endurcie. Elle n’en est pas devenue aigrie. Tout au contraire, elle a accru la force qu’elle possédait au fond d’elle-même.
… Et puis, pour rien au monde, elle aurait renoncé au rituel de leur promenade hebdomadaire.
Quant à moi, je n’ai pas non plus cherché à accrocher son regard… Je détourne les yeux. Surtout ne pas me projeter ! Mais voilà, mon inconscient s’est déjà mis au travail…
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Plus qu’un doux nectar
Qu’on me porte un regard
Un simple égard
Cela me suffit
J’ai déjà tout assouvi
Et je m’assombris
Au milieu de rien
Je deviens arachnéen
Retissant le lien
Des fragments de vie
Qui m’ont mené jusqu’ici
Ce port pour abri
Me protège t-il ?
Moi qui suis si fragile
Plus très mobile
Et, je parade
Ultime promenade
Sans les aubades
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