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Il y a quelque temps, j’avais décidé d’emmener ma douce voir un spectacle original. Il faut préciser que je ne sors pas beaucoup, mais l’événement avait lieu cette semaine, et il n’était point question que je me dérobe. Ma moitié adorant l’opéra, mon choix s’était naturellement porté sur un opéra de chambre donné au « Grand Théâtre de Provence ».
L’oeuvre, librement inspirée de « La Bohème » de Giacomo Puccini, intitulée, « Mimi, Scènes de la vie de Bohème », est annoncée comme une oeuvre moderne et contemporaine, surfant sur le thème de l’amour. Ah, Puccini ! Ce compositeur doué d’un talent harmonique et d’un langage théâtral si originaux pour son époque…Idéal pour une soirée de la Saint Valentin !
Je n’en connaissais ni l’auteur, ni le metteur en scène, mais avec un chef d’orchestre ayant dirigé certaines des formations européennes les plus réputées, et qui avait brillé de Paris à Tokyo, en passant pas New-York et Israël, j’étais en confiance. Je pourrais même vous confier ici combien j’étais tout émoustillé à l’idée de la surprise qui allait être celle de ma compagne, et intrigué de ce que deux barytons, une soprano colorature, une soprano lyrique et deux chanteuses pop pouvaient interpréter dans le cadre de l’évocation d’un si bel opéra.
L’homme qui valida nos billets nous annonça sans rire que nous étions surclassés. Quelle aubaine ! Du balcon, nous avions droit à l’orchestre. C’est ainsi que nous pénétrâmes dans le sein des saints au rouge écarlate dominant.
Au moment où j’ôtais mon imperméable – et oui, il pleut parfois en Provence – un spot illumina mon cerveau. Le lourd et traditionnel rideau était levé, et une scène pour le moins vivante s’offrait sans pudeur à nos yeux.
Une fois idéalement installé, au beau milieu de la salle, mon regard se posa sur ce qui semblait être un avant spectacle. Des gens portant des tenues bigarrées exerçaient toutes sortes d’activités : certains jouaient au ballon, d’autres faisaient les cents pas, tandis que le son d’une guitare électrique accompagnée d’une caisse claire nous divertissait plaisamment.
Une lumière tamisée nous permettait de distinguer un décor moderne où cousinaient des objets inattendus. Il m’en a fallu du temps pour les reconnaître individuellement, tant le lien qui les unissait paraissait au premier coup d’oeil improbable. Ce n’est que bien plus tard que je compris que nous avions sous les yeux les différents tableaux auxquels nous allions assister. Une curieuse singularité ne lassait pas d’intriguer : la scène était jonchée d’innombrables matelas de formes et de couleurs différentes… Une chambre. Oui, c’est cela, une chambre ! Comme cela était audacieux ! Oui, très audacieux pour les jongleurs, aboyeurs et accessoirement chanteurs, de se mouvoir sur ce sol instable chaussés de baskets, mais aussi de stilettos pour les moins chanceux.
C’est en découvrant ce tableau que l’idée surgit dans un coin de mon cerveau – Oui, je sais. Je suis un peu lent – Nous allions certainement assister à un spectacle très, mais alors très original.
C’est également à ce moment que je découvris avec soulagement, derrière un rideau noir curieusement ajouré, la présence rassurante d’un orchestre et de son chef.
Le nombre de musiciens était modeste, certes, mais nous n’étions pas venus écouter une interprétation magistrale.
Soudain, ma rêverie fut interrompue par l’intervention d’un homme, dont la voix se dégagea du chaos régnant sur la scène. Il nous conta fort agréablement ce que nous allions voir … de telle sorte que les pièces du puzzle puissent s’assembler. Bientôt, nous fûmes engloutis dans l’esprit de Rodolphe (le héros de l’opéra de Puccini, dans « La Bohème », pour les mélomanes).
En guise de prologue, le pauvre rêvait et cauchemardait sous nos yeux ébahis. Plusieurs héroïnes d’opéra, Manon Lescaut, la Tosca, Madame Butterfly, Turando, se vautraient sur les matelas poussant des cris cacophoniques au rythme d’une musique contemporaine et fort percussionniste. Un jeu de scène ahurissant, et bien évidemment, nous ne pûmes échapper à deux paires de seins nus en guise d’évocation du rêve érotico-fantasmagorique d’un Rodolphe suffocant sous sa couverture.
À la fin du Prologue, alors que moi-même, j’avais du mal à reprendre mes esprits, je fus surpris par des applaudissements et des huées. Des fauteuils claquèrent, des spectateurs quittèrent la salle prestement. Mais en fin de compte, leur nombre en fut étonnamment restreint.
Tétanisé, j’avais compris pour ma part que nous ne pourrions faire partie de ces chanceux fuyards, coincés que nous étions au coeur d’une forêt de jambes et de pieds infranchissables. N’ayant nullement besoin de m’enquérir sur l’état d’esprit de mon épouse pour me sentir mal à l’aise, je tentais de temps à autre quelques diversions : « désolé, je ne savais pas », « toutes mes excuses », ou encore « nous partons à l’entracte » tout en me doutant bien que nous n’aurions pas cette opportunité pour un spectacle durant 1h30… Et nous mangeâmes notre pain noir sans mot dire, tout en maudissant mon imprudente réservation.
Notez bien qu’au fil des actes, de discrets applaudissements résonnaient dans la noble enceinte. Une scène déclencha même quelques rires. J’imagine que, pour les yeux et les oreilles de ceux qui s’étaient déplacés en conscience, l’exercice au comble des anachronismes, des dérisions et parfois même de la vulgarité, devait paraître génial.
En revanche, certains soupirs lâchés désespérément autour de moi me laissaient envisager les sentiments nourris par des abonnés égarés ou ceux d’un public bourgeois pour le moins désemparé.
Pour ma part, si j’ai eu le mauvais esprit de croire qu’il était toujours bon d’inviter ses parents et ses connaissances pour noyer de probables attitudes négatives et réchauffer les froideurs d’une salle peu convaincue, je confesse avoir imaginé que, sonotone coupé, les différents tableaux et costumes ne manquaient pas de créativité.
C’est donc tout de même interloqué devant tant d’audace artistique, que je ne pus m’empêcher, de retour dans mes pénates, de parcourir attentivement la brochure du spectacle. Mieux encore, je me suis rué sur les critiques parues en fin d’année dernière dans Libé, Télérama, et consorts. Elles étaient, bien sûr, dithyrambiques.
J’ai alors bien volontiers admis non seulement mon manque d’attrait pour les spectacles contemporains, mais surtout la pauvreté et l’étroitesse de mon esprit culturel.
Et pourquoi ? Tout simplement parce que je ne peux que m’incliner devant tant de génie. Oui ! Tout à fait : de-gé-nie !
Car faire en sorte qu’une telle oeuvre ait été produite par le Théâtre des Bouffes du Nord, les fonds de création lyrique, la région Ile-de-France, le Croatian National Théâtre Zagreb, le Centre Georges Pompidou …, qu’elle ait été créée sur de plusieurs scènes nationales, et enfin, qu’elle ait pu être présentée dans le cadre des actions soutenues par la ville d’Aix, la Direction Régionale des Affaires Culturelles de PACA, le Ministère de la Culture et de la Communication… c’est vraiment cela, que j’appelle du-gé-nie !
… Mais au final, les mêmes qui s’extasient devant un néon accroché sur un mur blanc dans une galerie fameuse de Soho à New York, une « œuvre » adjugée à 2 millions de dollars, me diront sur un ton hautain et méprisant : « Tu n’y comprends rien, c’est de l’art !
Et bien, moi, ce qui me réconforte est que l’une des deux chanteuses pop est Camélia Jordana. Mais si, vous savez bien … Révélée sur M6 dans l’émission « Nouvelle Star », le titre phare de son premier disque était en 2010 : « Non, non, non ! » …
… Extra-lucide la révélation ! Croyez pas ?
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Vis ta bohème
Parce que tu l’aimes
Comme un poème
Comme illusion
Qui t’éclaire comme néon
Tu n’es pas un con
De ne prendre art
D’où je dois prendre une part
D’un matin blafard
Un interprète
C’est simplement le reste
Mais c’est céleste
Découvrez la suite de l’illustration poétique de Didier REGARD
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