Amertume

Durée de lecture : 3mn 21s

Je suis né du bon côté de la planète.
J’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour être du bon côté de la barrière.
Je fais désormais partie de la classe moyenne supérieure, des 10% de foyers qui contribuent pour 70% au fonctionnement de l’État et à toutes ses officines.
Mais pour beaucoup, je suis et resterai un salaud de riche, un coupable tout désigné.
Ignorés, les impôts et les cotisations que je verse ! Oubliés, les emplois que j’ai contribué à créer ! Gommés, les efforts consentis, les heures de travail fournies ! Tout cela ne compte pas. Il me faut comprendre que j’ai eu tort de tenter de m’élever. Il faut que j’en sois enfin convaincu : c’est en m’appauvrissant, qu’il y aura moins de pauvres !

Ne croyez pas que ce raisonnement simpliste soit confidentiel. Il est plus généralement répandu dans mon pays qu’il est plus raisonnable de le croire.
Ce pays, je ne l’aime pas moins pour autant. Et même si je ronchonne de temps en temps, j’accepte le système tel qu’il est. J’accepte les discours moralisateurs et les jugements qui les accompagnent pour ce qu’ils sont.
Le partage et la solidarité ne m’ont jamais posé problème. Encore faut-il qu’ils soient constructifs et justement pondérés.

Mais, l’examen des faits et des événements qui m’entourent me font garder certaines croyances divergentes. Toutes ne sont pas bonnes à exprimer. Tenez ! Par exemple, je m’entête à croire que tous les foyers fiscaux devraient payer des impôts. Fussent-ils symboliques, peut-être 10 € par an ; la marque que nous appartenons tous à une même société, et que nous devons tous quelque chose à l’État providence.
Je ne pense pas que ce soit aussi mal que ce que l’on voudrait me faire croire. Alors, j’assume.

Et donc, cette semaine, j’ai eu la chance de pouvoir fêter mon anniversaire. Non pas la chance d’être arrivé à un certain âge – quoique, je pourrais avoir aussi honte d’avoir dépassé l’espérance de vie de la majorité des habitants de la terre – mais plutôt parce que j’ai le luxe de me soucier de cette date.
Je sais, je sais, je sais … futile et égocentrique ! Et pour ne rien arrangé, j’avoue avoir beaucoup apprécié que mon entourage me souhaite « bon anniversaire !».
De plus, j’ai eu la chance de me retirer cinq jours à l’extrême sud-ouest de l’Europe. Tout près de l’endroit d’où ont appareillé des navigateurs, pour découvrir les terres d’un nouveau monde. Là, où l’herbe serait plus verte…
Cinq jours pour déconnecter. Cinq jours dans une région offrant des points de vue sur l’immensité de l’océan à couper le souffle. Cinq couchers de soleil s’abîmant dans la mer. Cinq clairs de lune miroitant dans les flots. Cinq jours pour prendre un an.
Et je l’avoue, cinq jours au cours desquels j’aurais bien aimé prendre « perpette ».

Et puis, nous sommes retournés dans la vraie vie.
Et sans que je ne m’y attende, j’ai réellement eu le sentiment de prendre « perpette ». Mais cette fois-ci, le sens en était totalement différent. Coupable j’étais parti, coupable je suis revenu.
Dans une salle d’attente de l’aéroport de Lisbonne, assis devant un écran diffusant les images d’une chaine d’actualités continues, je n’ai pas eu besoin de sous-titres, alors que défilaient les images de l’exode transeuropéenne des migrants fuyant l’État Islamique, ou la famine, ou les deux à la fois. Je n’ai pas eu besoin de sous-titres pour comprendre le sens des interviewes de la cohorte des « Y’a qu’à, faut qu’on », trop heureux de se mettre en valeur en listant les dispositions qu’il faudrait prendre au plus vite. Je n’ai pas eu besoin de sous-titres pour lire tout, et son contraire, sur fond d’images déchirantes.

Mais heureusement, … l’ONU veille !.
Cette semaine, après une dizaine d’années de négociations, le « machin » a voté à l’unanimité de ses membres « 17 objectifs de développement durable », venant abroger les 8 votés en 2000 qui, visiblement, n’ont pas rencontré un franc succès … « Ils  visent à éradiquer la faim et l’extrême pauvreté, à réduire les inégalités au sein des états et entre les états, à atteindre l’égalité entre les hommes et les femmes, à améliorer la gestion de l’eau et de l’énergie, à agir vite contre le changement climatique, … tout cela supervisé et évalué à partir d’un ensemble d’indicateurs devant être adoptés d’ici mars 2016 ». ….
Waouh !!! Quelle nouvelle prodigieuse déclaration d’intentions ! Que de nouvelles négociations palpitantes en perspective !
Ah ! J’oubliais un léger détail …
Cette semaine, le nouveau responsable d’un poste-clé au sein du « Conseil des Droits de l’Homme» a pris ses fonctions.
Il s’agit de l’ambassadeur auprès de l’ONU de l’Arabie Saoudite.
L’Arabie Saoudite … N’est-ce pas le riche pays où l’on exploite sous un soleil brûlant, des travailleurs bangladais, en les arrosant pour qu’ils ne s’écroulent pas trop rapidement ? N’est-ce pas le pays où les femmes, dont on ne peut voir que les yeux, n’ont aucun droit, ni même celui de se promener seules dans la rue ? N’est-ce pas le pays où l’on condamne à 1.000 coups de fouet un bloggeur opposant au régime ? N’est-ce pas le pays où les minorités (ethniques, religieuses, sexuelles) sont sévèrement réprimées ? N’est-ce pas le pays où l’on torture avec le plus grand raffinement pour obtenir des aveux ? N’est-ce pas le pays où les tribunaux prononcent des jugements au terme de procès fantômes ? N’est-ce pas le pays où l’on est décapité en place publique, pour avoir porté un jugement négatif sur le roi ou sa famille, sur simple dénonciation ? N’est-ce pas le pays où l’on a déjà décapité 80 personnes depuis le début de l’année ?

Tiens, d’un seul coup, je me sens beaucoup moins coupable ! … Je sais, c’est subversif, réactionnaire et totalement idiot de ma part !

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Je suis coupable
Parce que je suis bancable
Je suis le Diable

Je suis enviable
Là, couché sur le sable
C’est habitable

Et c’est jouable
Car, en irréprochable
Je suis louable

Je suis réglable
Pas avec les minables
Qui font des fables

Toujours taxable
Devant l’intolérable
Du non vivable

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