Jamais nous n’aurions dû nous retrouver côte à côte dans cet avion. Jamais ! Et pourtant, il fallait absolument que nous nous rencontrions.
Nous nous étions enregistrés sur internet la veille du départ. Elle s’était présentée au guichet d’accueil, une heure avant le décollage de l’appareil. Pourtant, erreur humaine ou erreur de logiciel, le fauteuil qu’elle occupait lorsque nous sommes entrés dans l’avion avait été également attribué à mon ami.
Telle n’était pas notre intention, mais rien n’aurait pu la faire se lever.
Pas une seconde elle ne pouvait envisager que l’on puisse la séparer de son petit garçon. Cependant, elle n’était pas assise. Elle était littéralement cramponnée à son siège, comme si elle s’apprêtait à entrer physiquement en résistance. Le contraste entre mon ami, bel et bien debout dans le couloir, mais qui affichait néanmoins un calme olympien, et ce petit bout de femme, visiblement en apnée, que je sentais tendue comme peut l’être la corde d’un arc, était saisissant.
Tandis qu’il avait toute confiance dans la capacité de la chef de cabine à lui trouver une autre place dans cet avion, pourtant plein comme un oeuf, elle se tenait prête à une improbable agression.
Vérifications faites que l’un ou l’autre ne s’était pas trompé d’avion, il ne fallut que quelques minutes pour qu’une alternative soit effectivement trouvée.
Je n’ai pas entendu le « ouf » de soulagement de ma voisine, mais j’ai réellement ressenti que chacun de ses nerfs, chacun de ses muscles, venaient de se détendre dans l’instant. Enfin, elle pouvait s’autoriser à respirer.
Elle concentra alors toute son attention sur son enfant ; un blondinet de 5 ans, joli comme un coeur, mais aux exigences péremptoires. Comment ne pas être admiratif devant la patience et la douceur de cette très jeune maman ? Fine négociatrice, elle était toute en retenue et en maîtrise, désireuse à l’évidence d’éviter tout mouvement de colère du petit garçon. Ses bras et son torse étaient protégés par une coque en plastique rigide et transparent. Une protection, mais aussi une redoutable entrave.
L’abnégation dont elle faisait preuve m’inclina à engager la conversation. Celle-ci était régulièrement entrecoupée des manifestations d’humeur de l’enfant. Chaque geste brusque déclenchait chez lui une douleur qu’il avait beaucoup de mal à tolérer. La fatigue liée au voyage qui s’éternisait vint à bout de sa résistance. Il s’écroula en un coup de baguette magique invisible sur l’épaule de sa frêle maman.
Je fus alors surpris par l’immédiateté des confidences qu’elle me fit. Elle non plus n’en pouvait plus, elle fondit en larmes. Les greffes, les infections, l’inquiétude, les combats qu’elle devait mener, mais aussi la culpabilité, puisaient toute l’énergie dont elle disposait. Ce voyage, déjà rendu très compliqué en cette période de grève, était pour elle, comme pour lui, un terrible crève-cœur. Elle le ramenait à l’institut dans lequel il était soigné. Une heure d’avion au-dessus de la mer les séparerait bientôt l’un de l’autre, comme c’était le cas depuis plus de 4 mois.
Un espoir cependant s’offrait enfin à elle. Elle avait réalisé des prouesses pour que son petit puisse être entouré de professionnels, au cas où l’on accepterait qu’il rentre à la maison. Elle avait constitué un dossier contenant de multiples attestations. Mais voilà, la décision dépendait d’un médecin dont elle ne savait rien, ou si peu. Et puis, sans rendez-vous, elle ne savait même pas s’il prendrait le temps de la recevoir avant qu’elle ne reparte.
C’est à ce moment-là qu’il me vint deux questions. Le genre de question mécanique dont on ne soupçonne pas l’intérêt réel de la réponse. La première était le nom de l’institut où était traité l’enfant, la seconde, le nom du médecin qui suivait son enfant.
Et que croyez-vous qu’il advint ? Je découvris que j’avais moi-même fait un séjour très prolongé dans ce même institut… Et le médecin était pour moi une vieille connaissance…
Avant de nous séparer, elle glissa dans son portefeuille un morceau de papier sur lequel figuraient mes coordonnées. Une sorte de sésame qui devrait lui permettre d’éviter que la porte reste close.
Eh bien oui ! Il existe bel et bien des synchronicités dans la vie. Il existe des signes. Et il fallait absolument que nous nous rencontrions.
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Cette semaine, Didier Regard nous transporte …
Lève-toi et vole
Allégé des symboles
Plus de chaire en monopole
Tu es enfin séparé du sol
Aérien, tu flottes
T’enveloppant de nuages
Libéré de tes bottes
Tu apprends une nouvelle nage
Sans ce corps de souffrance
Qui aime les ambulances
Tu voles avec élégance
Vers ta nouvelle naissance
Plus rien pour te retenir
Dans tes meurtrissures
Mais des visages pour applaudir
Ta liberté en bouture
Découvrez les poèmes de Didier Regard et aussi ses tercets
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xplorexpress
/ 15 avril 2018Quel émouvant récit de synchronicité! Merci de ce partage, mon ami!
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