Quand ils lèvent les yeux, les passagers du bus me jettent des regards carnassiers. Leurs mâchoires restent serrées, mais je devine sans peine leurs canines allongées. Aucun ne sourit, (en même temps c’est un peu la règle à Paris), mais j’en suis certain, ce sont des vampires qui en veulent à ma vie : un vrai cauchemar !
Ah, c’est là que je descends. Encore quelques pas, le porche à franchir, et je serai en sécurité.
Cette fois c’est bon, je suis arrivé ! Je vais tout de même choisir un siège près de la porte d’entrée, au cas où je devrais échapper à une agression éclair.
Allez, on relâche la pression. Il faut que j’apprivoise mon angoisse : faire le vide, me concentrer sur ma respiration… Mais bordel ! Pourquoi je n’y arrive pas ?
Ah enfin, c’est mon tour.
– Bonjour, monsieur Martin. Comment allez-vous aujourd’hui ?
– Un peu… angoissé, docteur. C’est le mot juste, angoissé !
– Allez, mettez-vous donc à votre aise et détendez-vous le temps que je me plonge dans mes dernières notes. Voyons, voyons… Ah oui ! La dernière fois nous nous sommes quittés alors que vous aviez décidé d’adopter un… chaton ?
– Oui, oui, vous savez bien, c’est pour ses sept vies !
– C’est cela monsieur Martin, je vous en prie, détendez-vous… Alors, où en sommes-nous ?
– Comment dire, docteur… En fait, je pensais qu’il me sécuriserait, et …
– Et …?
– Et rien de tout cela. J’ai mal au ventre, j’ai des sueurs froides, et j’ai tellement peur que je suis agité constamment de tremblements.
– Intéressant. Mais encore…
– J’ai…, j‘ai…, comment dire…, c’est à la maison, docteur.
– À la maison ?
– Oui, en fait, ce sont mes enfants…, et aussi mon épouse. Au début, je n’y avais pas prêté attention. Ils ont beau dire qu’ils ne sont pas dépendants,…, qu’ils peuvent arrêter quand ils le veulent,…, que jamais ils ne toucheront à nos sous,…, ce n’est pas vrai ! J’ai bien vu qu’ils étaient devenus dépendants.
– Dépendants ?
– Oui, ils cherchent à obtenir des récompenses, mais ils n’en ont jamais assez. J’ai l’impression qu’ils sont entrés dans une compétition permanente et sans fin. Ils se jalousent, et je les entends même se disputer à propos du chat… Mais ce n’est pas tout,… il y a trop d’indices.
– Des indices ?
– Oui, d’abord j’ai compris à quel point quelque chose ne tournait pas rond lorsqu’ils ont perdu la notion du temps. L’un arrivait systématiquement en avance, tandis que l’autre était en retard, et toujours d’une demi-heure : impossible d’avoir la même heure sur chacune des horloges de la maison ! Et puis, ça a été l’escalade. Mon fils a arrêté le foot, ma fille n’est plus allée à ses cours de danse, et mon épouse s’est désintéressée de tout.
– De tout ?
– Oui, vous savez…, la maison, la cuisine, la couture…. Enfin tous les trucs de femmes quoi ! Et le plus étrange, c’est quand elle revient des courses…
– Des courses ?
– Figurez-vous qu’un jour, un bio généalogiste m’a appris que les jumeaux achetaient toujours les choses par deux. Et même les personnes qui apparemment n’ont pas de jumeau, mais dont la mère a perdu l’un des deux embryons pendant leur grossesse, et qui ne le savent pas, et bien ces gens-là achètent toujours les choses par deux… Vous me suivez docteur ?
– Humm… Et… ?
– Et bien là, je suis perdu ! Vous imaginez bien que j’ai vérifié. Dans son cas, non seulement il n’y a pas eu de grossesse multiple, mais ma femme, ce n’est pas par deux qu’elle achète les choses, c’est par trois ! Vous vous rendez compte, docteur ? Par trois. Les packs d’eau minérale, les paquets de riz, les boites de petits légumes, les bouteilles de shampoing… Elle achète tout par 3, parfois même par 4. En même temps, vous me direz que c’est plus économique qu’à l’unité. Mais bon, maintenant on est obligé de laisser la voiture dans la rue, parce que le garage est bourré comme un bunker antiatomique qui attendrait la 3è guerre mondiale. Et puis, il y a plus grave, docteur. Je ne sais pas non plus pourquoi, mais pas moyen de trouver le moindre carreau de chocolat dans les placards. Figurez-vous qu’elle n’achète plus de chocolat.
– Ce n’est peut-être pas si grave.
– Mais si docteur, moi j’adooore le chocolat !
– C’est cela oui, le chocolat …
– Et puis le plus terrible, c’est lorsque j’ai lu dans le journal qu’ils n’étaient pas seuls. Plus de 130 millions, qu’ils disent. Et le fléau prend tous les jours de l’ampleur ! Ils cherchent des vies. Tenez, même moi j’ai failli entrer dans leur tribu. Ils ont tenté de m’enrôler !
– Ah oui ? Et comment cela ?
– Au début, j’ai reçu quelques mails isolés, mais très vite leur rythme s’est accéléré, et j’ai fini par recevoir des SMS. À n’importe quelle heure du jour et de la nuit ! Alors j’ai réglé le problème : j’ai changé d’adresse mail et de numéro de portable. Mais vous savez docteur, c’est une addiction terrible… Docteur, ils en veulent à nos vies… Docteur ? … Docteur ?… Mais, je n’y crois pas…, vous êtes un des leurs.
À l’aide ! Au secours ! Je suis perdu ! Mon psy est aussi un Candy Cruscheur !
***
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Clement Launay
/ 29 septembre 2013Ahahahah, très drôle papa, un jour nous réussirons, tu feras parti de notre tribu, de notre secte ! Nous dominerons le monde !!!! Gros bisous, tu m’as fais bien rire sur ce coup la 🙂
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pascalaunay
/ 29 septembre 2013Oh, mais je crains la méprise ! Toute ressemblance avec des personnes de mon entourage familial serait aussi fortuite qu’incongrue.
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Nathalie
/ 6 octobre 2013Alors loi je doit être une ‘has been’ totale, je viens de googler candy crush pour comprendre qui ILS sont….angoissant tu l’as dit!
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Nathalie
/ 6 octobre 20132 fautes dans les 4 premiers mots, qui peut faire mieux???
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pascalaunay
/ 6 octobre 2013Ou y l’ai selui qui peu te lansé la 1ère pière ? Hein, ou ki l’è ?
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