Prélude 

Il portait un pantalon blanc, une chemise rose pâle et un blazer bleu roi qui arborait, côté coeur, un blason cousu de fils d’or et d’argent, et côté droit, une pochette imprimée très légèrement mousseuse. Le petit foulard autour du cou, et la paire de gants blancs qu’il tenait si fermement dans une main auraient fait croire à un observateur non initié qu’il se rendait à un mariage. Mais on ne pouvait se tromper en pensant qu’il s’agissait du sien. Aujourd’hui, il fêtait tout juste ses 9 ans.

La gorge serrée, il attendait debout, face à la caméra. 

Il jetait régulièrement un oeil en direction de la porte dissimulée derrière un triptyque ajouré. Elle était située dans le coin le plus obscur de la pièce, mais il savait qu’elle donnait sur l’arrière-cour de la maison, où il avait parfois le droit de jouer au ballon.

Immanquablement lorsqu’il se montrait distrait, il était réprimandé par son père qui, l’oeil rivé derrière l’objectif, lui intimait de regarder le petit oiseau qui allait sortir. 

Mais à 9 ans, cela faisait bien longtemps qu’il savait que ce n’était pas de l’appareil que le petit oiseau sortirait.

Et comme à chaque fois qu’il était conduit dans ce sous-sol par sa mère, un sous-sol que ses parents appelaient l’atelier d’artiste, ce qu’il redoutait se produisit. Il entendit cette maudite porte s’ouvrir, et quelqu’un entra dans la pièce.

Bientôt il distingua la silhouette d’un homme aux dents très blanches qui venait à lui. 

Les mots sucrés qui sortirent de la bouche de cet inconnu ne parvenaient pas à faire sens dans sa tête. Nerfs et muscles tétanisés, il sursauta au contact de la main immense qui lui caressa les cheveux, puis la joue. 

Les présentations ainsi achevées, son père prononça la phrase rituelle qui amorçait le début du rôle qu’il allait devoir tenir. À force d’entendre cette phrase, il avait bien compris qu’il lui faudrait être gentil avec le monsieur.

Alors, c’est avec dextérité que l’homme entreprit de le déshabiller, sous le prétexte de le mettre à l’aise. 

Il lui demanda s’il avait vu le dessin animé « La Belle et la Bête » ? Il opina de la tête. L’inconnu lui dit alors qu’il était la « Bête » et que s’il le voulait bien, lui serait son « Beau ». 

Il prenait son temps, dévorant des yeux chaque centimètre de peau ainsi dénudé.

À la faveur de ce minutieux effeuillage, la Bête l’avait à présent couché sur le ventre. Le petit garçon entendait crépiter le déclencheur d’un appareil photo. Il entendait également ronronner le moteur du vidéo projecteur qui projetait un film, dont il était l’acteur principal. Mais parce que la Bête ne lui avait toujours rien demandé, il espérait désespérément que les caresses cessent, et que l’intrus s’en aille. Mais ça, ce n’était encore jamais arrivé.

La tête sur le côté, il apercevait régulièrement la lumière rouge de la caméra qui semblait danser autour d’eux. Derrière elle, il devinait l’oeil grand ouvert de son père… Et puis, la Bête lui ordonna sur un ton grave et rauque de se retourner …

… Et c’est lorsqu’une douleur lui transperça le bas du dos qu’il se réveilla.

Les draps étaient désagréablement humides, tellement il dégoulinait de sueur. Il mit du temps avant de se situer. Puis il reconnut les murs de sa chambre. Il porta la main au creux de son dos pour saisir sa compagne de solitude, une manette exténuée de jeux vidéo. Sans même la regarder, il la jeta sur la table de nuit. 

Il ne tenta même pas de se rendormir.

Ce cauchemar, il le connaissait bien. Et parce qu’il était persuadé qu’il ne pourrait jamais s’en défaire, comme à chaque fois qu’il reprenait ses esprits, il laissa son cerveau s’en nourrir, et alimenter ainsi sa colère.

….

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