Ainsi va, puis s’enfuit la vie


Ici, il y a bien tous les jours un petit marché traditionnel, mais aujourd’hui, les étalages débordent de tous les côtés. Nous sommes mercredi, jour du grand marché. Une irrépressible envie m’est venue de descendre y jeter un œil de plus près.

La veille, on aurait pu croire que les touristes avaient déserté ce petit port provençal. Il n’en est rien. À tendre l’oreille, force est de constater que les gens du pays et les retraités ayant élu domicile dans la région ne sont pas les seuls à déambuler dans les travées. En revanche, aussi bizarre que cela puisse paraître pour un mercredi, il n’y a pas d’enfants.
C’est qu’ici, on ne s’amuse pas ! On cherche la bonne affaire.
L’espace d’un instant, sans doute une appréhension de dernière minute, je tente d’échapper à un bain de foule annoncé. Hélas, je constate un brin dépité que toutes les terrasses de café sont bondées. C’est certain, la chasse à la table n’est pas fermée !
Il est 10h30 et mon œil taquin ne manque pas de relever un détail croustillant du genre cacahuètes et gâteaux salés : blanc, rosé ou jaune, les couleurs des verres sont loin des petits noirs ou des grands crèmes habituellement consommés par les vacanciers.

Mais me voilà happé par le train des badauds, et c’est en file indienne que j’entame la découverte d’un monde que je croyais disparu depuis l’avènement des grandes surfaces. Je sais, cela peut vous paraître très snob, mais à ma décharge, après avoir été gavé de centres commerciaux pendant 14 ans, j’ai dû faire une pause de …15 ans. Pas étonnant donc que j’ai pu conclure hâtivement que certaines choses avaient dû changer en 30 ans.
Loin d’une immersion en douceur, l’arrêt des fessiers me devançant me met face à l’alignement de camelots experts aux propositions toutes plus essentielles les unes que les autres : l’éplucheur multifonctionnel, le sculpteur de légumes, le détachant miracle, la panoplie complète de couteaux de cuisine et la batterie de poêles inusables. Mais, seul Dédé a l’honneur d’offrir l’accessoire fabuleux, j’ai nommé le « détrouilloteur universel » de fruits et légumes. Oui, l’offrir, car à ce prix c’était cadeau. Rendez-vous compte, vendu 15€ au marché de « Les Pennes-Mirabeau », et 12 ici même pendant toute la saison, c’était à 10€ que l’on peut se l’offrir exceptionnellement, aujourd’hui !
De surcroît, notre Dédé tient une forme olympique. Maîtrisant son art à merveille, l’auditoire reste en haleine, de la dramatisation à l’emballement final. Une démonstration brillante à diffuser sans modération auprès des étudiants en techniques de vente. Au moment où ma file se remet en marche, je suis aussi admiratif qu’essoufflé pour lui.

Mis en condition par Dédé, et toujours porté par le flux ahanant, je pars à la découverte du porte savon à l’ancienne, du matelas en 4 fois sans frais, de la montre à 6€ (10€ les 2), de l’ananas du Costa Rica, des savons provençaux venus dont on ne sait où mais dont le vendeur est 100% de Marseille, des épices en sachets plastiques made in « je ne sais pas », des bisous fantaisies made in « ailleurs », des vêtements « Home made creation » ?!, des DVD des Gipsy King, des poulets plumés à la tête encore toute ébouriffée, … Je rencontre un « rajeunisseur » de violons rempailleur de chaises, et un maraîcher perdu entre un chapelier et une bonne centaine de sacs multicolores … J’entends les accents divers des vendeurs et leurs arguments de vente imparables (« si c’est la couleur rouge qu’elle aime, alors il faut prendre le rouge »)… On me propose de faire le tour en mer de ma vie, avec dauphins et baleines garanties (« mais pas aujourd’hui pour cause de grand vent. Revenez plutôt dans 2 jours, ils seront bien là !»).
La France et les français sont décidément fantastiques.

Et puis, … Et puis je replonge enfin en territoire connu. Les petits étals de la flottille traditionnelle de pointus ont résisté vaillamment à la course aux emplacements et à la déferlante humaine qui l’a suivie. Les poissons de roche, les daurades et les mulets ont l’œil vif et luisant. Les poissonnières sont étonnamment sages. Entre deux cabanes, un chien surveille son maître. Indifférent à la cohue qui défile devant lui, le pêcheur répare l’un de ses filets. Ce matin, un énorme espadon n’a pas résisté au savoir-faire de l’équipage du « Gallus ». Un attroupement de curieux est en admiration devant la bête au rostre effilé. Malgré un corps coupé en deux, et quelques tranches débitées, ses gros yeux fixent les curieux avec insistance, le monstre des mers reste menaçant.
Quelques mètres encore et, tout à coup je me sens perdu, tel un pestiféré, dans l’œil de la foule. Le vide s’est fait autour de moi. Mais je ne rêve pas. On me contourne ?!
Je tourne la tête vers l’étal voisin, et c’est alors que je découvre une gerbe de fleurs ceinte d’un bandeau violet signé de la Prud’homie des pêcheurs de Sanary ; en arrière-plan, le portrait souriant d’un homme et une photo de lui sur son bateau… Victor ne barrera plus le « Phydo ».

Il est 13h30, le port est presque désert et les services de la voirie sont déjà entrés en action. D’ici peu, toute trace du marché aura disparu. Seules subsisteront les petites cabanes des pêcheurs, et dans l’une d’entre elles, la couronne de fleurs.
Ainsi va, puis s’enfuit la vie. À l’effervescence, succède le temps du souvenir.

*****

Et toujours, l’inspiration du poète 

En quittant ce matin mon antre
J’étais loin d’imaginer
Que ma vie était née

J’allais me voir dans mon centre
Bien au-delà de mon devoir
Loin d’un reflet de miroir

Parfois si rassurant
Quand il efface les rides du présent
Et mes tourments…

Je devais rendre visite à ma nostalgie
Pour stopper l’hémorragie
Et, retrouver la magie

Merci marché de Provence
Me procurant en abondance
L’extrême bombance

Je recrée mon enfant
Qui face à sa maman
Dit : « Je veux maintenant »

 

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2 Commentaires

  1. Comme ces marchés me manquent. Je me souviens des heures de marche, de « fouinage », de « jasage » avec les marchands et du marchandage sur une bien jolie bricole. C’était mon petit Compostelle à chaque semaines, mon pèlerinage hebdomadaire à la recherche de l’objet unique qui ferait battre mon cœur, du livre exceptionnel, de la bouture de plante que je cherchais depuis si longtemps, des fruits et légumes regorgeants de soleil et aux perles de rosée brillant au soleil comme des petits diamants liquides.

    Je marchais pendant des heures, prenant des photos d’objets inusités, de kiosques, de gens avec mon fidèle Nikon qui avait fait le tour du monde avec moi.

    Ces temps lointains me manquent tellement. Le mal du pays, le mal à mes souvenirs. La France et la Belgique me manque énormément.

    Je n’aime pas les grandes surfaces… c’est froid, c’est laid… mais, dépendant où l’on demeure, on n’a pas très souvent le choix. Je n’envie pas les marchés poissonniers par contre… mon pauv’ petit nez sensible n’a jamais aimé l’odeur des fond marins et mon cœur végétarien s’horrifiait à la vue des carcasses suspendues aux étals de boucheries mais le reste… oui, je m’en ennuie profondément.

    Merci pour cette photo, merci de m’avoir replongée dans mes souvenirs.

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    • Heureux de vous avoir fait partager une carte postale attachante de cette France que l’on est pourtant si prompt à dénigrer de l’intérieur. Au-delà de la nostalgie, j’espère qu’elle vous réchauffera le coeur au moins pour la semaine 😉

      Aimé par 1 personne

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