Hypocrisie et Fraude des Mots


Durée de lecture : un certain temps

Le politiquement correct consiste à « changer des formulations qui pourraient heurter un public catégoriel. Il s’agit de supprimer de notre vocabulaire les mots considérés comme offensants ou péjoratifs, pour les remplacer par d’autres considérés comme neutres et non offensants » … Il y avait du boulot, et de si nobles intentions ne pouvaient être que louées !

Mais voilà, comment ne pas être abasourdi devant ce qui est devenu en peu d’années une immense hypocrisie qui reflète en tout point le malaise de notre société occidentale ? Une société où l’on ne peut plus appeler un chat, un chat. Une société où le nombre de mots qu’il est désormais suspect de prononcer, ou d’écrire, est hallucinant.
Vous n’y aviez pas prêté attention ?
Laissez-vous surprendre en découvrant ces quelques lignes, bien évidemment non exhaustive :
À l’école, il n’y a plus de cancres ou de mauvais élèves. Non, seulement des élèves en difficulté ou en situation d’échec scolaire. On peut parler d’obésité, mais sans qu’il n’existe ni obèses, ni gros. Tout au plus nous arrive t-il de croiser des personnes enveloppées, enrobées ou un peu fortes. Mais on continue à dire « bouboule » dans les cours de récréation. Tiens, nos chers enfants ! Nos enfants n’ont plus de parents divorcés, ils vivent dans des familles recomposées. Il n’est plus correct de parler d’immigration, de métissage ou de clandestins. Les mots justes sont diversité et sans papiers. Misère et pauvreté sont devenues, exclusion, handicap économique, ou mieux encore, déshérence sociale. Et lorsque nous n’avons plus de travail, nous sommes désormais demandeurs d’emploi ou à la recherche d’un nouveau projet professionnel. D’ailleurs, qui ne rêverait pas de devenir, par exemple, technicien de surface.
Dans notre société, rassurez-vous, nous ne vieillissons plus. Non, non, plus de vieux. On est une personne d’âge mûr, on a un âge avancé, on devient senior ou membre du 3è âge. Évidemment, nous ne décédons plus du cancer. Non, les progrès de la médecine moderne sont tels, que nous décédons d’une longue maladie. Oh pardon ! On s’en est allé après avoir lutté contre une longue maladie (il convient de ne plus parler de mort ou de décès).
Et, dans un tout autre registre, quand les pays civilisés font la guerre, ils ne bombardent plus. Ils se livrent à des frappes chirurgicales…

Et puis, il y a de grands tabous. La qualification d’une personne suivant son origine géographique, sa culture, son appartenance religieuse ou politique, en est un.
À taire les mots, on en vient à tout confondre. Par exemple, rares sont ceux qui savent s’il faut dire juif, israélite ou israélien. Et si l’on peut encore dire communauté européenne et européens, monde arabe, nation arabe et même printemps arabe, impossible de dire, sans être taxé de racisme, qu’il existe près de 380 millions d’arabes. Ne plus qualifier une personne d’arabe semble aujourd’hui la seule façon que l’on ait trouvée pour régler 5.000 ans de domination alternative ou de conflits liés à la haine raciale. Quant à maghrébin, prononcer les mots de beur ou de robeu, … serait-ce la bonne solution ? Personnellement, je m’y perds.

Prenons alors au hasard deux autres exemples plus abordables pour mon pauvre esprit. Euh… presque au hasard : les handicapés et la couleur de peau.

Pour le 1er sujet, il fallait absolument cesser de confondre « l’état fonctionnel de la personne avec les situations de handicap rencontrées dans sa vie. Arrêter la stigmatisation de la personne que l’on qualifie de handicapée. Comme si, de fait, elle n’était pas normale, c’est-à-dire comme les autres » … Ouais, ouais, ouais …
Alors dans un premier temps on a cherché à remplacer les mots d’infirme, d’incapable, d’invalide, d’impotent et d’inadapté, qui expriment clairement un rejet des personnes concernées, par le mot handicapé. Bien, très bien même ! Mais très vite, on s’est rendu compte de l’oubli. Il fallait absolument qualifier le handicap, des fois que des esprits chagrins associent la personne à son état de santé. Donc nous avons créé le handicap moteur, sensoriel, mental et intellectuel.
Et puis, et puis nous avons doucement dérapé : plus de bègue, de sourd, d’aveugle ou même d’handicapé physique, simplement des personnes à l’élocution imparfaite, malentendantes, non voyantes et à mobilité réduite ou, pire encore, diminuées. Et évidemment, plus de nain, seulement des personnes de petites tailles ou, comment dire … Ah oui, à verticalité contrariée !
Je m’interroge … Pourra t-on continuer de dire un jour qu’on l’on a eu un banal accident, que l’on s’est cassé le bras ou la jambe, ou faudra t-il parler de mobilité réduite partielle et temporaire ? J’ose à peine chercher une formulation adéquate pour tous ceux qui portent des lunettes ou des lentilles …

Quant à la couleur de peau, il est de bon ton de feindre de ne rien remarquer. Néanmoins, si vous êtes dans une situation qui vous contraint à en parler, je ne vous apprends rien, du moins je l’espère, il ne faut pas dire qu’une personne est « noire ». Vous avez à votre disposition plusieurs possibilités : black ou personne de couleur, ou encore des locutions bienveillantes du type  « personne issue de la minorité visible ». Waouh ! … En la matière, la créativité n’a aucune limite.
Cependant, je me dois d’attirer votre attention sur le fait que, par extension, l’adjectif « noir », lui-même, est désormais proscrit. Par exemple, ne dites surtout plus « le travail au noir », mais « faire du black ». Et encore moins, « le marché noir », mais « le marché parallèle ».
Il reste néanmoins deux interrogations auxquelles je ne puis vous répondre. Que penser si votre enfant vous dit un jour : « Maman, n’éteins pas la lumière, j’ai peur du black ! « . Et devrons-nous dire bientôt d’une personne blanche, qu’elle est white ? Franchement, je n’en ai pas la moindre idée. En revanche, voilà une certitude : vous pouvez continuer à dire « mon frère vend de la blanche, … t’en veux ? ».

Si vous n’en étiez pas déjà conscients, j’espère vous avoir sensibilisés quant à la  nécessité absolue de surveiller votre langage.
J’ai d’ailleurs lu dernièrement que le département d’éducation de la ville de New York voulait éviter que soit prononcé à l’école le mot « dinosaure ». Bah oui, c’est évident ! Celui-ci évoque la théorie d’évolution des espèces de Darwin et peut choquer les fondamentalistes chrétiens. « Dinosaure », oui, mais pas que… Il y a aussi le mot « anniversaire », qui pourrait heurter les enfants témoins de Jéhovah qui, eux, ne les souhaitent pas. Et puis il y a aussi, divorce, maladie, terrorisme, mauvais traitement, alcool, drogue, tabac, catastrophe naturelle, célébrité, ordinateur à la maison, criminalité, vacances, maison avec piscine, sans abri, halloween, sans argent, cadeau coûteux, chasse, malbouffe, sport nécessitant des connaissances préalables, violence, guerre, arme, sorcellerie, esclavage, fugue, rock’n roll, fêtes religieuses, religion, rap, pornographie, politique, sujets occultes et parapsychologie.
Si si, je vous l’assure, c’est vrai ! Avec nos réformettes scolaires, nous faisons vraiment petits bras. J’ose à peine imaginer les conversations dans les cours d’école… Quoique … il reste, petit merdeux, pouffiasse et tournante… Enfin, ce qui est certain, c’est que les agents du marketing de Ken et Barbie ont du boulot … Ben oui, certaines de leurs aventures ont du plomb dans l’aile. Tenez, « Barbie divorce » et « Ken part à la guerre », c’est fini !
Il parait que ce qui se passe aux USA met 10 ans à débarquer sur le vieux continent … J’en frémis déjà !

« La perversion de la cité commence par la fraude des mots. » Platon, La République.

*****

(Vacuité du langage)

Comme c’est beau l’amour
Ce n’est pas une longue maladie
C’est notre recours

Je suis un senior
Sans mobilité réduite
Et j’aime la vie…

 Découvrez la suite de l’illustration poétique de Didier REGARD

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4 Commentaires

  1. Je suggère bien humblement d’ajouter au dictionnaire PC les entrées suivantes :
    C.. : non-intelligent
    Très c.. : fondamentalement non-intelligent
    Haut Fonctionnaire : fondamentalement non-intelligent Premium
    Et pour le fun :
    Président : malentendu ou malvoyant, c’est selon !
    Ça fait du bien de se lâcher un peu, merci Pascal !

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  2. Bravo pour ce brillant article qui sera sans nul doute, une fois encore, apprécié de tous, à l’exception peut-être des… je sais pas moi, des… des non-comprenants ? 😉

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  3. N’empêche que quand le prof de religion et de morale de sa chic école bruxelloise interpelle ma fille de 13 ans d’un  » eh… toi, la noire » je trouve que cela fait désordre. Certes, elle vient d’Haïti et EST noire mais pas une fois en 2 ans il n’ l’a appelée par son prénom… SARAH !

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    • Et oui, Lise. Il est bien là le problème. Quel que soit le mot que ce triste sir utilise, c’est bien la connotation qu’il véhicule qui pose problème (et surtout vu sa profession). À son âge, j’imagine qu’il sera difficile de le faire changer d’opinion, mais qu’on lui demande ou qu’il dise spontanément « black » ou « toi, l’enfant issu de la diversité », n’y changera rien. Il restera un pauvre con ! (pour rester correct…).
      Bise à Sarah.

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